Orages : quand faut-il arrêter un match de foot ?
Un ciel qui s’assombrit, un grondement qui approche, puis un éclair qui fend l’horizon. Sur un terrain de football, la scène est familière, mais la question reste toujours la même : faut-il continuer à jouer ?
Chaque année, des matchs sont interrompus, parfois annulés, à cause de la menace orageuse. Et si certains y voient une mesure excessive, les statistiques montrent que la foudre reste l’un des dangers les plus sous-estimés pour les sportifs. Le football, pratiqué en extérieur sur des pelouses dégagées, en est particulièrement vulnérable.
Un danger bien réel sur les terrains de football
Chaque année en Europe, la foudre cause en moyenne 64 décès, dont une part significative lors d’activités sportives.
Les terrains de football figurent parmi les lieux les plus touchés : selon les études scientifiques, 10% des victimes de foudre en Europe se trouvaient dans une enceinte sportive, et la grande majorité d’entre elles jouaient au foot.
En France, les drames rappellent régulièrement la réalité de ce risque. Le 23 mai 2024, un entraîneur de 33 ans a perdu la vie à Courrières (Pas-de-Calais), foudroyé en plein entraînement devant ses joueurs et une trentaine de témoins. Trois autres personnes avaient été blessées lors de l’impact.
Ce n’était pas une première : en 2019 en Allemagne, un éclair avait frappé un terrain lors d’une séance, blessant 15 joueurs simultanément. En 2016, plus de 30 personnes avaient été hospitalisées à Hoppstaedten, dont un arbitre touché directement.
Ces cas ne sont pas isolés : en réalité, dans 7 accidents sur 10, l’orage était visible depuis plus de 40 minutes avant le drame. Autrement dit, le problème n’est pas l’imprévisibilité, mais l’absence de décision au bon moment.
Reconnaître le moment où il faut arrêter de jouer
Un orage ne surgit presque jamais sans prévenir.
Dans 9 cas sur 10, son évolution peut être anticipée grâce aux observations et aux outils de prévision. Pourtant, sur un terrain de football, beaucoup de décisions se prennent encore « à vue d'œil ».
Les indices naturels
Dès que le délai entre l’éclair et le tonnerre se réduit, le risque devient critique. Une atmosphère lourde et étouffante (pour rappel, la chaleur extrême peut déjà constituer en soi un danger), des rafales soudaines, une baisse brutale de luminosité sont autant de signaux qui doivent alerter.
Dans de nombreux accidents recensés, les témoins affirmaient avoir vu l’orage approcher bien avant l’impact.
La règle internationale est simple et doit être connue de tous : si le délai entre un éclair et le tonnerre est inférieur à 30 secondes, il faut arrêter immédiatement le jeu et se mettre à l’abri.
Le cas des épisodes méditerranéens
En France, le danger est particulièrement marqué dans le sud-est, où surviennent plusieurs épisodes méditerranéens chaque année.
Ces phénomènes, liés à une Méditerranée encore chaude en automne, peuvent générer des orages stationnaires très violents, avec pluies torrentielles et activité électrique intense.
C’est dans ce contexte que le Classico OM-PSG du 21 septembre 2025 a été reporté par décision préfectorale : près de 70 000 spectateurs devaient assister à un match exposé à des éclairs prévus entre 19h et 22h, rendant toute évacuation risquée.
Des décisions parfois impopulaires, mais vitales
Si le report d’un match professionnel entraîne frustration et coûts économiques, il illustre la règle essentielle : mieux vaut interrompre trop tôt que trop tard. Un orage qui s’installe peut transformer en quelques secondes un terrain de jeu en zone à très haut risque.
Protocoles et règles officielles
Quand l’orage menace, la décision d’interrompre ou de reporter un match n’est pas laissée au hasard. Des règles existent, et elles s’appliquent du terrain amateur aux plus grandes compétitions.
La règle des 30/30
C’est la plus simple à retenir :
- Si le délai entre un éclair et le tonnerre est inférieur à 30 secondes, le jeu doit être arrêté immédiatement et tous les participants mis à l’abri.
- La reprise n’est possible qu’après 30 minutes sans nouvel éclair ni coup de tonnerre.
Cette règle, validée par de nombreuses fédérations et instances de sécurité, est facile à appliquer et ne nécessite aucun matériel spécifique. Elle repose uniquement sur l’observation et la discipline des encadrants.
Les protocoles FIFA et internationaux
La FIFA délègue la décision aux responsables de sécurité et aux arbitres. Certains pays, comme les États-Unis, appliquent une règle encore plus stricte : interruption automatique dès qu’un impact de foudre est détecté dans un rayon de 13 km (8 miles).
Ce protocole a été appliqué lors de la Coupe du Monde des Clubs, avec plusieurs interruptions de près de deux heures.
Le cas français : FFF et LFP
En France, la Fédération Française de Football (FFF) et la Ligue de Football Professionnel (LFP) imposent des obligations claires :
- Garantir la praticabilité du terrain.
- Disposer d’un stade de repli conforme en cas d’impossibilité.
- Prévoir des protocoles de sécurité intégrant le risque orageux.
En Ligue 1, le règlement prévoit que si un match ne peut pas commencer à cause de conditions météorologiques dangereuses, il est reprogrammé le lendemain par défaut.
C’est ce qui s’est produit lors du Classique OM-PSG de septembre 2025.
Les enjeux au-delà du terrain
Arrêter ou reporter un match ne se résume pas à une décision sportive. Les impacts économiques, logistiques et sociaux sont souvent considérables.
Coûts immédiats
Un report entraîne une cascade de frais : mobilisation supplémentaire du personnel de sécurité, réorganisation des diffuseurs TV, logistique des clubs visiteurs.
Côté supporters, les conséquences sont parfois brutales : lors du report d’OM-PSG en septembre 2025, les tarifs hôteliers à Marseille ont doublé en moins de 15 minutes après l’annonce.
Pour certains fans venus de loin, le voyage a représenté plusieurs centaines d’euros... sans match au bout.
Le football amateur en première ligne
Si les matchs de Ligue 1 font la une, ce sont les clubs amateurs qui subissent le plus de perturbations.
Chaque année en France, environ 120 000 matchs de football amateur sont annulés à cause de la météo. Dans un tiers des clubs de divisions inférieures, les terrains sont inutilisables entre six semaines et deux mois par saison en raison des intempéries.
Pour les jeunes, cela signifie des entraînements écourtés, des compétitions tronquées et parfois une perte de motivation.
La gestion assurantielle du risque orage
Sur le plan administratif, Météo-France délivre des certificats d’intempéries utilisés par les clubs et collectivités pour justifier un report ou demander une indemnisation.
Mais attention : la foudre n’est pas toujours couverte par défaut dans les contrats. Les clubs doivent souvent souscrire des garanties supplémentaires pour protéger leurs infrastructures et leurs licenciés.
Prévenir pour ne pas subir
Si l’arrêt d’un match est parfois inévitable, une grande partie des risques liés aux orages peut être anticipée et réduite grâce à des mesures adaptées.
Des infrastructures mieux protégées
La première ligne de défense reste l’équipement des stades.
L’installation de paratonnerres à émission anticipée (ESE), déjà adoptés dans de grandes enceintes sportives à l’étranger, permet de sécuriser le périmètre contre les impacts directs de la foudre. Certains modèles récents, comme le Prevectron3, offrent une surveillance connectée en temps réel pour assurer un suivi permanent.
Les abords des terrains doivent également être pensés pour la sécurité : éviter la présence d’arbres isolés, s’assurer que les mâts d’éclairage et les grillages sont bien reliés à la terre, et disposer de zones couvertes capables d’accueillir joueurs et spectateurs.
Une organisation d’urgence claire
Au-delà de l’équipement, c’est l’organisation qui sauve des vies. Chaque club, même amateur, devrait disposer d’un plan orage précisant :
- Qui prend la décision d’arrêter le jeu (arbitre, entraîneur, référent météo).
- Quels messages sont transmis immédiatement (sono, haut-parleurs, SMS aux parents).
- Quels sont les points de repli prévus (vestiaires, tribunes couvertes, bâtiments annexes).
Un référent météo désigné peut suivre les bulletins officiels, surveiller les applications de détection en temps réel et déclencher l’arrêt du jeu dès que les seuils sont atteints.
Former et sensibiliser
La prévention passe aussi par l’éducation des joueurs et encadrants.
La règle des 30/30 doit être connue de tous, du U11 au senior.
Expliquer pourquoi il faut quitter le terrain, montrer des exemples d’accidents récents, et rappeler que l’interruption est une mesure de responsabilité, pas une contrainte inutile.
Certains clubs vont plus loin en organisant des simulations d’évacuation : elles renforcent les réflexes collectifs et permettent d’éviter la panique en cas d’orage réel.
Le football est un jeu simple, mais exposé à un danger invisible et redoutable : la foudre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : chaque année en Europe, des dizaines de victimes sont recensées, et une part importante d’entre elles se trouvaient sur un terrain de football. Pourtant, la grande majorité de ces drames auraient pu être évités grâce à une règle élémentaire : stopper le jeu dès que le délai éclair-tonnerre tombe sous les 30 secondes, et attendre 30 minutes avant de reprendre.
De Courrières en 2024 au Classico OM-PSG reporté en 2025, les exemples montrent que le risque n’épargne ni les terrains amateurs ni les grandes enceintes. Les clubs, les arbitres et les encadrants doivent intégrer ces protocoles comme des réflexes naturels. Mieux vaut un match interrompu qu’un joueur ou un spectateur en danger.
Face aux orages, une certitude s’impose : il n’existe pas de spectacle qui vaille plus que la sécurité.