Ligue 1+ : le vrai prix, la vraie histoire, le vrai contenu

Depuis plus de quatre ans, le football français traverse une instabilité médiatique sans précédent. L’effondrement de Mediapro en 2020, le retrait d’Amazon en 2024 et le fiasco de DAZN en 2025 ont laissé les clubs exsangues et les supporters désorientés.
Dans ce contexte chaotique, la Ligue de Football Professionnel (LFP) a pris une décision historique : lancer sa propre chaîne, Ligue 1+, et reprendre le contrôle total de la diffusion du championnat. Inédit en France, ce choix rappelle les modèles américains (NBA League Pass, NFL+) et vise un double objectif : reconquérir un public lassé et stabiliser les revenus des clubs, aujourd’hui au bord de la rupture.
Mais derrière le discours officiel et peu chahuté d’une "solution d’urgence imaginée en deux mois brillamment orchestrée" se cache une réalité plus complexe : Ligue 1+ est le fruit d’une préparation de longue haleine, pensée et structurée depuis plusieurs années. Cette stratégie, combinée à une offre tarifaire agressive et à des contenus immersifs inédits, pourrait bien redéfinir le paysage audiovisuel du football français... ou acter sa chute en cas d’échec.

Genèse du projet Ligue 1+

Un championnat malmené par ses diffuseurs

Depuis 2020, la Ligue 1 navigue en eaux troubles sur le marché audiovisuel. L’effondrement de Mediapro a marqué le début d’une ère de précarité, obligeant la LFP à trouver des solutions provisoires. Amazon Prime Video a ensuite pris le relais en 2021, séduisant par ses tarifs mais ne prolongeant pas au-delà de trois saisons. En 2024, DAZN s’impose comme principal diffuseur... pour une seule saison, conclue par un fiasco attendu et retentissant.

Ces changements incessants ont érodé la confiance des supporters et fragilisé la trésorerie des clubs, contraints de vivre au rythme des négociations de dernière minute, des ruptures de contrats et parfois des impayés.

L’appel d’offres manqué et le choc stratégique

En 2024, la LFP lance un nouvel appel d’offres pour les droits TV 2025-2029. Sans surprise, aucun diffuseur ne propose le montant espéré.
La fracture est totale entre les attentes des clubs et la réalité du marché. Face à cette impasse, Vincent Labrune, président de la LFP, met sur la table un scénario jusque-là resté dans les tiroirs : créer une chaîne 100% Ligue 1, gérée et produite par la Ligue elle-même.

L’inspiration américaine

Ce modèle, encore inédit pour un championnat européen majeur, s’inspire directement des ligues américaines. NBA League Pass, NFL+ ou MLB.TV maîtrisent toute la chaîne de valeur : production, distribution et relation client.
L'objectif est de s’affranchir des intermédiaires et capter directement la valeur auprès des abonnés. Pour la LFP, il s’agit aussi de ne plus dépendre d’un diffuseur unique capable de se retirer du jour au lendemain.

Un "projet express" en réalité mûri depuis 4 ans

Un mythe de l’urgence

Officiellement, Ligue 1+ serait née d’une réaction épidermique face à la crise des droits TV, conçue en à peine deux mois.
En réalité, les documents et déclarations que nous avons analysés démontrent que la LFP travaille sur ce projet depuis le printemps 2021. Derrière le storytelling d’un sauvetage improvisé se cache un chantier méthodique, pensé pour être activé dès qu’un échec majeur des diffuseurs surviendrait.

Printemps 2021 : premières réflexions stratégiques

Vincent Labrune le reconnaît lui-même :

« Ce projet ambitieux, on a commencé à y travailler pour la première fois au printemps 2021 »

À l’époque, la Ligue explore déjà l’idée de contrôler directement la diffusion de son championnat, mais préfère temporiser.

Mars 2022 : naissance de la structure juridique

Le 7 mars 2022, la LFP crée “Filiale LFP 1” – future LFP Media – conçue pour porter ce type d’initiative. Quelques mois plus tard, en juillet 2022, CVC Capital Partners injecte 1,5 milliard d’euros, rendant la structure juridiquement et financièrement prête à lancer sa chaîne.

Juin 2024 : le plan B devient plan A

Quand l’appel d’offres pour les droits TV 2025-2029 tourne au fiasco, Labrune sort officiellement l'option "chaîne 100% Ligue 1" devant le conseil d’administration.
Les objectifs affichés sont ambitieux :

  • Prix envisagé : 25 à 30 €/mois
  • Objectif : 3 millions d’abonnés
  • Revenus espérés : 750 M€ annuels

2025 : les pièces du puzzle s'assemblent

La nomination de Nicolas de Tavernost (ex-M6, ex-propriétaire des Girondins de Bordeaux) en avril 2025 parachève le dispositif. En coulisses, les discussions avec Mediawan Sport pour la production, et avec les distributeurs (Orange, SFR, Free, Bouygues, Amazon) étaient déjà bien avancées depuis plusieurs mois.

Un récit calibré pour séduire

Pourquoi entretenir l’illusion d’un projet improvisé ?

  • Gagner l’indulgence en cas de couacs techniques au lancement.
  • Créer un effet David contre Goliath face aux géants de la diffusion.
  • Éviter les soupçons sur des négociations parallèles avec d’anciens partenaires.

En réalité, l’essentiel était prêt depuis longtemps : concept, financement, partenariats, stratégie éditoriale. La “phase express” de deux mois n'a concerné tout au plus que le choix du nom, le calibrage tarifaire et le plan de communication.

Une offre tarifaire qui bouscule le marché

Un lancement à prix d’appel

Pour séduire massivement dès la première saison, Ligue 1+ démarre avec une formule d’essai agressive : 9,99 € par mois pendant trois mois, puis 14,99 € avec engagement annuel.
Un tarif volontairement en dessous des standards récents, pensé pour gommer le souvenir amer des abonnements prohibitifs imposés par DAZN.
Ce choix verrouille l’abonné sur 12 mensualités, même pendant les mois sans compétition, et garantit des recettes stables à la LFP.

Le pack complet : Ligue 1+ + beIN Sports

Pour suivre l’intégralité des matchs en direct, les fans devront combiner Ligue 1+ (8 matchs sur 9 par journée) avec beIN Sports (match restant). L’addition s’élève alors à 29,99 €/mois.

Comparatif Amazon vs Ligue 1+ : le vrai coût pour voir toute la Ligue 1

Entre 2021 et 2024, Amazon proposait le Pass Ligue 1 à 99 €/an (offre saison), réservé aux abonnés Prime (69,90 €/an).
Pour suivre les 8 matchs sur 9 diffusés par Amazon, la facture totale atteignait 168,90 €/an. Mais pour voir l’intégralité des journées, il fallait ajouter Canal+ (diffuseur du 9e match), ce qui portait le coût réel autour de 350€ par saison selon l’offre Canal+ choisie.

En 2025, Ligue 1+ facture 14,99 €/mois (engagement 12 mois), soit 179,88 €/an, auxquels s’ajoutent beIN Sports (15 €/mois) pour le match restant, pour un total de 359,88 €/an.

Sur une base "couverture complète", Amazon + Canal+ hier et Ligue 1+ + beIN aujourd’hui reviennent quasiment au même prix. La différence majeure est la flexibilité : Amazon facturait en forfait saison avec pause estivale, alors que Ligue 1+ impose 12 mensualités.

Piratage et IPTV : l’hémorragie invisible

Ces dernières années, l’explosion du piratage — notamment via l’IPTV illégale — est devenue l’un des principaux défis pour la Ligue 1. L’exode massif vers ces solutions s’est accentué depuis 2020, porté par trois facteurs : la fragmentation des droits entre plusieurs diffuseurs, la hausse perçue du coût global des abonnements, et la frustration liée à des expériences techniques parfois décevantes.

Selon l’Hadopi et l’Arcom, plusieurs centaines de milliers de foyers français consomment régulièrement du football via des abonnements IPTV non officiels, privant les diffuseurs et les clubs de millions d’euros de revenus chaque saison. Au-delà de l’impact économique, c’est aussi la valeur même des droits TV qui se trouve sous pression.

Ligue 1+ ambitionne de réduire cette fuite en simplifiant l’accès : un abonnement unique (à terme), une interface centralisée et des contenus exclusifs qui ajoutent une valeur d’usage au-delà du match en direct. Mais pour inverser la tendance, il faudra aussi convaincre un public déjà habitué à des alternatives illégales bon marché... et parfois techniquement performantes.

Contenus exclusifs : la promesse Ligue 1+

Une grille de programmes pensée pour l’immersion

Au-delà des matchs en direct, Ligue 1+ veut se positionner comme la maison du football français. Sa programmation ne se limite pas aux 90 minutes.

  • Avant-match : plateaux d’analyse, interviews d’avant-coup d’envoi, suivi de l’échauffement et présentation tactique.
  • Après-match : débriefs complets, réactions à chaud, statistiques enrichies et analyses vidéo des actions clés.
  • Magazines hebdomadaires : focus sur un club, un joueur ou un entraîneur, portraits de jeunes talents, retour sur les coulisses de la préparation physique ou mentale.
  • Contenus “inside” : accès inédit aux vestiaires, micros sur certains joueurs, suivi d’une journée type d’un professionnel.
  • Documentaires : rétrospectives sur les grandes épopées des clubs, archives restaurées, analyses de matchs historiques.

Cette diversité éditoriale vise à créer un lien quotidien avec les supporters, même en dehors des jours de match. En se rapprochant du modèle NBA League Pass ou NFL+, la LFP espère transformer Ligue 1+ en plateforme de référence, capable de fidéliser les fans sur toute la saison.

Un accès “inside” inédit

Ligue 1+ veut dépasser le simple rôle de diffuseur pour devenir une vitrine immersive du championnat. Au programme :

  • Caméras dans les vestiaires et en coulisses.
  • Micros sur certains joueurs et entraîneurs.
  • Reportages exclusifs sur les entraînements et la préparation des matchs.

L’objectif est clair : offrir aux abonnés une proximité émotionnelle que ni Amazon ni Canal+ n’avaient réellement exploitée.

Une réalisation "premium" made in Mediawan

La production des matchs est confiée à Mediawan Sport, spécialiste reconnu de la captation sportive haut de gamme.
Plus d’angles de caméras, meilleure qualité d’image : un argument fort pour convaincre ceux qui regardent désormais le foot sur des écrans XXL.

Les risques d’un pari aussi ambitieux

Un engagement financier lourd pour les fans

Si l’offre mensuelle paraît compétitive au premier abord, l’engagement sur 12 mois impose un coût total annuel non négligeable, surtout lorsqu’il faut ajouter l’abonnement à beIN Sports pour suivre l’intégralité des matchs. Ce modèle peut décourager une partie du public habituée à des formules plus flexibles.

Une dépendance au nombre d’abonnés

La viabilité économique repose sur un objectif ambitieux : atteindre rapidement un million d’abonnés. Un écart important entre les prévisions et la réalité pourrait mettre en difficulté la redistribution financière promise aux clubs.

Une infrastructure technique à l’épreuve

Le lancement d’une nouvelle plateforme de streaming comporte des risques techniques : surcharges lors des grosses affiches, problèmes de latence ou de compatibilité avec certains supports. La qualité de diffusion sera scrutée dès les premiers matchs.

Un marché français exigeant

Les supporters français ont déjà connu plusieurs révolutions forcées dans la diffusion du football depuis 2020.
Convaincre une audience lassée par les changements constants nécessitera plus qu’une bonne campagne marketing : la promesse de stabilité sur plusieurs saisons devra être tenue.

Situation économique des clubs : une dépendance chronique aux droits TV

La santé financière de nombreux clubs de Ligue 1 reste précaire. Selon les rapports de la DNCG, plus de la moitié des clubs présentent chaque saison un résultat d’exploitation négatif, compensé uniquement et souvent bien partiellement par la redistribution des droits TV. Cette dépendance structurelle rend chaque négociation de diffusion cruciale pour leur survie.

L’épisode Mediapro en 2020 a laissé des traces : contrats rompus, recettes amputées et budgets révisés dans l’urgence.
Même aujourd’hui, certains clubs peinent à retrouver un équilibre durable, malgré les apports ponctuels (CVC Capital Partners, ventes de joueurs).

Dans ce contexte, Ligue 1+ représente à la fois une opportunité et un risque : si le modèle atteint ses objectifs d’abonnés, les clubs bénéficieront d’une visibilité et de revenus stabilisés. En revanche, un échec commercial pourrait provoquer une nouvelle contraction des budgets, avec des répercussions directes sur la compétitivité du championnat et la capacité à retenir ses meilleurs talents.

Ligue 1+ n’est pas un projet improvisé : la LFP travaille dessus depuis plusieurs années, avec une stratégie pensée pour reprendre la main sur la diffusion du championnat. Sur le plan tarifaire, la comparaison honnête avec l’ère Amazon montre que, pour une couverture complète, la différence de coût est minime. L’enjeu ne se joue donc pas uniquement sur le prix, mais sur la capacité à offrir une expérience enrichie et une stabilité dans la diffusion.

Le défi est double : séduire rapidement un nombre suffisant d’abonnés pour rentabiliser le modèle, tout en prouvant que la qualité technique et éditoriale sera au rendez-vous. Si l’objectif est atteint, la LFP pourrait s’assurer un revenu pérenne et offrir aux clubs une visibilité maîtrisée sur le long terme. Dans le cas contraire, ce projet deviendrait un nouvel épisode des turbulences des droits TV français.

La saison 2025-2026 sera donc bien plus qu’un simple test : c’est un banc d’essai grandeur nature pour savoir si la Ligue 1 peut, enfin, se diffuser elle-même avec succès.