Le poste le plus complet du foot est aussi le moins reconnu
Dans l’imaginaire collectif, le football est souvent raconté à travers les exploits des buteurs et des meneurs de jeu. Les projecteurs se braquent sur les dribbleurs, les artificiers, les créateurs. En marge de cette lumière médiatique, le poste de latéral reste trop souvent perçu comme secondaire, voire ingrat.
Pourtant, à l’heure du football total et des schémas tactiques complexes, le latéral est devenu un rouage indispensable, à la fois défenseur, relanceur et attaquant de couloir.
Comment expliquer alors que ce poste, si exigeant, soit encore sous-coté dans les représentations collectives ? Pour comprendre cette contradiction, il faut remonter à ses origines, observer son évolution, et mesurer l’étendue des compétences désormais requises.
Du cliché du « joueur bouche-trou » au rôle de joueur hybride et stratégique, cet article décrypte l’histoire, les mutations et la reconnaissance inégale d’un poste en pleine réhabilitation.
Une perception historique dévalorisante
Le rôle du latéral : poste par défaut ?
Pendant des décennies, le poste de latéral a souffert d’un manque de prestige évident. Dans de nombreux clubs amateurs comme professionnels, il était courant d’y placer les joueurs jugés « moins bons techniquement » ou ceux n’ayant pas réussi à s’imposer à des postes plus valorisés. Ce choix n’était pas anodin : il révélait une hiérarchie implicite entre les postes, où le latéral faisait figure de solution de secours.
Jusqu’aux années 1990, ce rôle était essentiellement défensif. Le latéral devait se contenter de verrouiller son couloir, bloquer l’ailier adverse et dégager proprement le ballon. Rarement mis en valeur, rarement décisif, il n’attirait ni les regards ni les vocations.
Le cliché persistant du joueur « recalé »
Cette perception a laissé des traces durables. Dans l’imaginaire collectif, le latéral est encore trop souvent associé à un ailier raté ou un défenseur central pas assez solide. Un stéréotype tenace qui nuit à la reconnaissance du poste et décourage certains jeunes joueurs, qui rêvent d’être buteurs, meneurs ou gardiens héroïques, rarement latéraux.
Résultat : peu de modèles inspirants à ce poste dans les centres de formation, peu de joueurs formés spécifiquement pour ce rôle dès le plus jeune âge, et une valorisation médiatique quasi nulle dans les classements ou les distinctions.
Révolution tactique : le latéral moderne, pièce maîtresse
Des schémas de jeu qui redéfinissent le poste
Le tournant tactique des années 2000 a marqué une métamorphose profonde du rôle des latéraux.
Avec l’émergence de systèmes comme le 4-3-3, le 3-5-2 ou le 4-2-3-1, les entraîneurs ont commencé à exploiter le couloir comme un espace stratégique, confiant aux latéraux des missions beaucoup plus ambitieuses.
Aujourd’hui, un latéral n’est plus cantonné à défendre : il est aussi piston, créateur de surnombre, voire milieu relayeur dans certaines phases de jeu. Des clubs comme Manchester City avec João Cancelo ou Liverpool avec Alexander-Arnold ont élevé le poste à un niveau tactique supérieur. On parle désormais de latéraux « intérieurs » ou « inversés », capables de se recentrer pour densifier le milieu et participer à la construction.
Un rôle à double facette : défense + attaque
Le latéral moderne doit exceller dans la polyvalence. Il court souvent plus que n’importe quel autre joueur sur le terrain, couvrant toute la longueur de son couloir. Il doit :
- stopper les ailiers adverses, souvent parmi les joueurs les plus rapides et techniques.
- apporter du soutien offensif, proposer des solutions en profondeur.
- centrer avec précision, parfois tirer ou marquer.
- participer au pressing haut, à la relance ou à la conservation du ballon.
Ce double registre permanent, offensif et défensif, demande une lecture du jeu très fine et une capacité d’adaptation constante. Le latéral n’est plus un suiveur de jeu, c’est un déclencheur, parfois même un accélérateur stratégique.
Les compétences requises : un poste ultra-exigeant
Un profil athlétique et cérébral
Être latéral au haut niveau exige un mélange rare de qualités physiques et mentales. Sur le plan athlétique, c’est l’un des postes les plus sollicités : le joueur doit enchaîner les allers-retours sur 70 mètres, sprinter pour couvrir ou attaquer, et résister à l’intensité d’un pressing constant. L’endurance et la vitesse sont donc des prérequis non négociables.
Mais ces qualités physiques ne suffisent pas. Le latéral moderne doit aussi faire preuve d’une intelligence tactique avancée : lire les trajectoires, anticiper les décrochages adverses, gérer les transitions rapides et savoir quand se projeter sans déséquilibrer son bloc.
Maîtriser des gestes techniques variés
Le registre technique d’un latéral est bien plus riche qu’il n’y paraît. En phase offensive, il doit :
- réussir ses centres en mouvement avec précision.
- savoir combiner dans les petits espaces avec son ailier ou son milieu.
- &pporter du danger par des appels tranchants ou des frappes lointaines.
En phase défensive, il est confronté à des 1 contre 1 fréquents et décisifs. Il doit :
- savoir tacler proprement.
- protéger sa surface avec rigueur.
- gérer les renversements de jeu rapides.
Cette polyvalence technique, couplée à des exigences physiques élevées, place le poste de latéral parmi les plus complets du football moderne.
Pourquoi reste-t-il sous-coté ?
Médiatisation et reconnaissance limitée
Malgré leur importance stratégique croissante, les latéraux demeurent faiblement valorisés dans l’espace médiatique. Ils sont rarement mentionnés dans les analyses d’après-match, sauf en cas d’erreur flagrante. Les projecteurs restent braqués sur les buteurs, les milieux créateurs ou les gardiens décisifs.
Ce déséquilibre se reflète aussi dans les récompenses individuelles : aucun latéral n’a remporté le Ballon d’Or depuis sa création, et très peu figurent dans les classements FIFA ou les campagnes marketing des grandes marques. Même dans les jeux vidéo, les notes attribuées aux latéraux restent inférieures à celles d’autres postes clés.
Le poids des idées reçues
Le cliché du latéral comme joueur de second rang subsiste, notamment chez les jeunes ou dans les formations traditionnelles. Beaucoup d’éducateurs, par habitude ou par manque de compréhension des nouvelles exigences du poste, continuent de considérer le latéral comme une solution de dépannage.
Cette vision freine la formation de profils spécifiquement conçus pour ce rôle, et prive le football de talents potentiels, qui auraient pu exceller dans ce registre s’ils avaient été formés dès le départ avec les bonnes exigences physiques, techniques et mentales.
Réhabilitation du poste et nouveaux modèles de référence
Des modèles inspirants pour les jeunes
La revalorisation du poste de latéral passe aussi par la mise en lumière de joueurs d’exception qui ont redéfini ce rôle. Des légendes comme Cafu ou Roberto Carlos ont été les premiers à faire du latéral un acteur offensif à part entière.
Plus récemment, des joueurs comme :
- Dani Alves (Barça, PSG, Brésil), véritable meneur excentré.
- Trent Alexander-Arnold (Liverpool), créateur de jeu à partir de son flanc droit.
- João Cancelo, capable de jouer latéral gauche ou droit, tout en pénétrant dans l’axe.
- Andrew Robertson, spécialiste de la projection et du centre en première intention.
- Et bien sûr, Achraf Hakimi, symbole du latéral moderne offensif : explosivité, précision dans les centres, grosse activité défensive et capacité à faire des différences dans le dernier tiers.
Ces joueurs montrent à une nouvelle génération que le poste de latéral peut être décisif, spectaculaire, et valorisé au plus haut niveau.
Former et valoriser les profils hybrides
Pour accompagner cette évolution, les clubs et les éducateurs doivent :
- encourager les profils polyvalents dès les catégories jeunes.
- travailler spécifiquement les gestes techniques du poste (centres, appels, couvertures).
- intégrer les latéraux dans les circuits de relance et de construction offensive.
- valoriser les performances défensives autant que les contributions offensives dans l’analyse du match.
C’est en changeant les mentalités, dès la base, que l’on pourra élever le statut du latéral à la hauteur de son importance dans le jeu moderne.
Longtemps relégué au second plan, le poste de latéral est aujourd’hui l’un des plus stratégiques et exigeants du football moderne. Sa transformation, portée par l’évolution des schémas tactiques et l’émergence de profils hybrides, en fait un rôle clé dans l’animation offensive et défensive des équipes de haut niveau.
Pourtant, cette importance n’est toujours pas pleinement reconnue. Le latéral reste souvent perçu comme un poste de substitution, sous-médiatisé et faiblement récompensé. C’est un décalage entre l’image et la réalité qu’il est urgent de corriger.
Valoriser ce poste, c’est non seulement mieux former les talents de demain, mais aussi changer le regard porté sur le jeu, en admettant qu’un centre millimétré, un tacle salvateur ou une projection réussie peuvent être aussi décisifs qu’un but spectaculaire.