Ronaldo a raison trop tôt ? La Saudi Pro League n’a pas encore gagné son match contre la Ligue 1

« Le championnat saoudien est meilleur que la Ligue 1 et la Liga portugaise »

En une phrase, Cristiano Ronaldo a rallumé le feu du débat mondial. Ses mots, prononcés avec assurance après une victoire d’Al-Nassr, ont fait le tour des réseaux.
Pour certains, la superstar dit tout haut ce que le monde du foot n’ose pas encore admettre : la Saudi Pro League (SPL) serait le nouveau centre de gravité du ballon rond.
Pour d’autres, il s’agit d’un pur exercice de communication, d’un storytelling calibré pour servir la vitrine d’un projet à plusieurs milliards.

Deux ans après son arrivée au Moyen-Orient, Ronaldo continue d’assumer ce rôle d’ambassadeur du football saoudien. Et il n’est plus seul : Neymar, Benzema, Kanté, Mané, Mahrez… tous vantent un championnat « plus compétitif qu’on ne le croit ».
Mais la question reste entière : au-delà des noms et des salaires, où se situe vraiment la Saudi Pro League dans la hiérarchie mondiale ?

Les classements, les données Opta et les performances continentales racontent une autre histoire. Celle d’un championnat en forte progression, certes, mais encore loin des standards européens. Et si, derrière les déclarations de Ronaldo, se cachait surtout le reflet d’une ambition encore en construction ?

Ronaldo a parlé. Mais le football, lui, qu’en dit-il ?

Depuis qu’il a quitté l’Europe pour rejoindre Al-Nassr en janvier 2023, Cristiano Ronaldo n’a cessé de défendre son nouveau championnat. À chaque micro tendu, il revendique la montée en puissance du football saoudien : « La Saudi Pro League est meilleure que la Ligue 1 et la Liga portugaise », a-t-il martelé encore fin 2025, après une victoire contre Al-Fateh.

L’ancien Ballon d’Or sait qu’il pèse plus qu’un simple joueur.
Son influence dépasse le rectangle vert : il est le visage du projet saoudien, l’incarnation d’un plan sportif et politique colossal. Son discours n’est pas improvisé — il est stratégique.
En valorisant la SPL, Ronaldo en devient le narrateur officiel.

Et il n’est pas seul. Neymar a parlé d’un championnat « plus équilibré que la Ligue 1 », Benzema a évoqué « une vraie intensité », Mahrez ou Kanté ont salué « l’engagement et le niveau des infrastructures ». Mais derrière cette unanimité apparente, un détail intrigue : tous ces joueurs sont aussi des symboles du projet saoudien. Leur parole, légitime sur le plan sportif, est aussi liée à leur statut d’ambassadeurs d’un système qui investit massivement dans son image.

Ce n’est pas la première fois que Ronaldo crée un décalage entre ses mots et la perception générale. En 2018, il affirmait que la Serie A allait « redevenir le centre du football » ; en 2021, que Manchester United retrouverait « vite son trône ».
Aujourd’hui, son enthousiasme pour la SPL s’inscrit dans la même logique : un mélange d’optimisme, d’orgueil et de mission personnelle.

Mais à la différence de Turin ou de Manchester, l’Arabie saoudite ne part pas du même point. Ici, le défi n’est pas de redorer un blason historique : c’est de construire une crédibilité sportive mondiale à partir de zéro.

La hiérarchie mondiale des ligues en 2025

Quand on enlève les projecteurs et les déclarations enflammées, les chiffres racontent une tout autre histoire.
Car au football, les perceptions ne suffisent pas : les données Opta, les classements UEFA et les performances continentales permettent de mesurer, objectivement, le niveau réel d’un championnat. Et là, la Saudi Pro League (SPL) reste encore loin derrière l’Europe.

Le verdict est sans appel des classements Opta 2025

D’après le dernier Opta Power Rankings publié à l’automne 2025, la Ligue 1 figure au 5ᵉ rang mondial, derrière la Premier League, la Serie A, la Liga et la Bundesliga.
La Primeira Liga portugaise se maintient solidement dans le top 10, oscillant entre la 8ᵉ et la 9ᵉ place selon les saisons.
La Saudi Pro League, elle, pointe entre la 26ᵉ et la 33ᵉ place — un score honorable pour un championnat asiatique, mais très loin des standards européens.

Ainsi, le meilleur club saoudien (Al-Hilal) n’est pas encore au niveau d’un Benfica ou d’un Lyon, ni même du milieu de tableau de Ligue 1. Et ce n’est pas une opinion, mais une réalité statistique.

“La SPL a progressé, mais elle n’est pas encore au niveau tactique ou collectif des ligues européennes”, confiait récemment un analyste d’Opta dans The Analyst.

“Le haut du tableau est fort, mais le bas du classement reste très faible.”

Des chiffres qui confirment le fossé

La Ligue 1 aligne chaque saison des clubs en phase finale de Ligue des champions — Paris, Monaco, parfois Lille.
Le Portugal, lui, continue d’exporter ses clubs et ses talents dans toute l’Europe : Benfica, Porto et le Sporting jouent régulièrement les huitièmes de C1.
La SPL, en revanche, reste confinée à la Ligue des champions d’Asie, où les clubs saoudiens dominent certes, mais sans affronter de réelle adversité comparable à celle du Vieux Continent.

Même sur le plan de l’intensité — les fameuses “données de terrain” comme le PPDA (Pressing Per Defensive Action) ou le nombre moyen de sprints par match —, l’écart est net puisqu'en Ligue 1, la moyenne de pressing est 15 à 20% plus élevée qu’en SPL et le rythme des matchs est aussi plus rapide, avec davantage de transitions et de duels.

En clair, le football saoudien est plus lent, plus espacé, moins structuré tactiquement. Les stars y brillent par leur talent individuel, mais rarement par l’intensité collective.

Une progression réelle, mais encore incomplète

Les investissements du Royaume ont tout changé : infrastructures, salaires, visibilité, diffusion internationale... La SPL a franchi des étapes spectaculaires en deux ans.
Mais le football ne se bâtit pas seulement à coups de milliards. Ce qui manque encore, c’est la densité, c'est à dire cette capacité à avoir dix clubs compétitifs, des jeunes locaux formés, une base tactique commune et un calendrier exigeant.

La Ligue 1 et la Primeira Liga ne sont pas parfaites, mais elles ont un écosystème : des centres de formation, des entraîneurs reconnus, et une culture du jeu. La SPL, elle, est encore en train de le construire.

Ronaldo n’a pas tort de dire que le niveau a progressé.
Mais dire que le championnat saoudien est “meilleur” que la Ligue 1 ou la Liga portugaise, c’est aller plus vite que le jeu.
La réalité, c’est que la SPL joue un autre match : celui de la crédibilité à long terme.

Le glamour des stars ne suffit pas à hausser le niveau

La Saudi Pro League n’a jamais autant brillé sous les projecteurs. Ronaldo, Benzema, Neymar, Mahrez, Kanté, Mané, Brozovic, Koulibaly… la liste ressemble à une affiche FIFA Ultimate Team. Mais derrière cette vitrine dorée, le constat est clair : le glamour ne fait pas la densité.

Des stars, oui. Mais surtout des trentenaires.

La plupart de ces grands noms sont arrivés après 30 ans, souvent après leur pic de performance. Tous restent évidemment d’immenses professionnels, mais ils ne jouent plus avec l’intensité de leurs années européennes.
Le championnat saoudien leur offre un cadre plus calme, un confort matériel et une adoration populaire et pas forcément une adversité quotidienne.

“Le niveau technique est bon, mais le rythme est plus lent et les espaces plus grands. On a le temps de jouer.” témoignait récemment un ancien joueur de Ligue 1 passé en SPL, cité par Ouest-France.

Même Ruben Neves, arrivé à 26 ans dans la force de l’âge, reconnaît que le football y est différent : « plus physique que tactique ».

Un écart de densité impossible à ignorer

Ce qui manque à la SPL, ce n’est pas le talent individuel mais la profondeur collective.
En Ligue 1, le 10ᵉ peut battre le leader n’importe quel week-end. Au Portugal, le 7ᵉ joue souvent en Ligue Europa.
En Arabie saoudite, trois clubs dominent tout : Al-Hilal, Al-Nassr et Al-Ittihad. Le reste du championnat peine à suivre.
Les écarts budgétaires, de préparation et de tactique sont tels que le niveau moyen chute brutalement après le top 4.

La SPL, aujourd’hui, c’est un peu comme une Ligue 1 avec trois PSG. Très spectaculaire à voir sur le haut du tableau, mais très déséquilibrée sur le reste.

Le “mirage” de l’effet star

Certes, les grands noms apportent de la visibilité. Les stades sont pleins, les audiences TV explosent, et les sponsors européens s’y intéressent enfin.
Mais sportivement, l’effet est superficiel : les stars ne tirent pas forcément le championnat vers le haut, elles le rendent plus regardé, pas forcément meilleur.

C’est le paradoxe du projet saoudien, il attire les icônes, mais peine encore à faire émerger les talents.
Peu de jeunes locaux percent, et les joueurs U23 ne représentent qu’environ 7% du temps de jeu total du championnat contre plus de 25% en Ligue 1.
Le foot saoudien a acheté les têtes d’affiche, mais pas encore la base du spectacle.

Kanté : l'exception ou la preuve ?

Quand Didier Deschamps a annoncé sa liste de novembre 2025, un nom a fait lever plus d’un sourcil : N’Golo Kanté.
Un an après sa dernière convocation, le milieu de terrain d’Al-Ittihad retrouvait les Bleus. Un joueur évoluant en Saudi Pro League sélectionné par l’équipe de France ?

Un retour mérité, pas un cadeau

Deschamps a tout de suite mis les choses au clair :

« Si je l’appelle, c’est parce qu’il joue, qu’il court, qu’il est bon. Kanté, même en Arabie saoudite, reste Kanté. »

Le sélectionneur a insisté sur sa forme physique, son volume de jeu, son expérience. Et il a raison en ce sens, depuis le début de saison, Kanté a retrouvé une régularité impressionnante — plus de 1 500 minutes jouées, un rendement constant, et cette capacité unique à donner de l’équilibre à n’importe quelle équipe.

Mais ce retour dit sans doute plus sur l’homme que sur le championnat. Kanté n’est pas un joueur “standard”, c’est une référence mondiale, un double champion d’Angleterre, un vainqueur du Mondial et de la Ligue des champions.
S’il performe à haut niveau, c’est d’abord parce qu’il sait s’auto-entretenir, qu’il possède une hygiène et une lecture de jeu hors norme. Ce n’est pas la SPL qui a hissé Kanté, c’est Kanté qui tire la SPL vers le haut.

Une exception… ou deux ?

Depuis deux ans, très peu de joueurs évoluant en Arabie saoudite ont été appelés par des sélections européennes majeures. Mais il existe deux exceptions de taille : N’Golo Kanté... et Cristiano Ronaldo.

Le premier, capitaine du Portugal, continue d’être sélectionné sans discussion. Mais soyons clairs, **Ronaldo n’est pas non plus sélectionné grâce à la Saudi Pro League — il l’est malgré elle. **Son statut d’icône nationale, son impact médiatique et son niveau de préparation individuelle en font un cas totalement à part. À 40 ans, il demeure un phénomène d’efficacité et de longévité, pas le reflet du championnat dans lequel il joue.

Ni Benzema avec la France, ni Brozovic avec la Croatie, ni Mahrez avec l’Algérie n’ont conservé le même poids international depuis leur arrivée dans le Golfe.
C’est dire si ces deux figures( Ronaldo et Kanté) sont davantage des anomalies symboliques que les témoins d’un niveau général.

Le symbole d’un championnat en quête de respect

Pour la Saudi Pro League, le retour de Kanté en équipe de France est une bénédiction. C’est une vitrine, un argument marketing, et une preuve de crédibilité.
Mais d’un point de vue sportif, le message reste inchangé : tant que les performances collectives, la densité et la formation ne suivront pas, les cas individuels ne suffiront pas à crédibiliser un championnat.

Ronaldo et Kanté prouvent qu’un joueur d’élite peut rester compétitif dans un championnat en devenir mais ils ne changent pas de ce fait la hiérarchie mondiale : la Saudi Pro League n’est pas encore une référence collective, elle est un refuge pour individualités d’exception.

Le storytelling saoudien

Derrière les déclarations de Ronaldo se cache un récit orchestré, construit, et assumé.
Depuis 2023, la Saudi Pro League est aussi un projet d’image nationale. Le Royaume d’Arabie saoudite investit des milliards pour imposer sa place dans le sport mondial. Et le football est jusqu'à présent sa vitrine la plus visible.

Une stratégie bien rodée

Le Fonds d’investissement public (PIF) contrôle aujourd’hui les principaux clubs du pays : Al-Hilal, Al-Nassr, Al-Ittihad et Al-Ahli. Chaque transfert majeur, chaque conférence de presse, chaque phrase d’une star étrangère s’inscrit dans une stratégie de soft power. Le message est toujours le même :

“L’Arabie saoudite est une terre de football moderne, ambitieuse et respectée.”

Ronaldo, Neymar, Benzema, Mahrez ou Kanté sont les visages d’une transformation politique et culturelle. Leur parole compte parce qu’elle façonne la perception mondiale du championnat et si cette perception est encore fragile, elle progresse à coups de récits.

« Nous voulons faire du championnat saoudien une référence internationale », déclarait récemment un responsable du PIF dans The National. « Nos joueurs, nos stades et nos fans méritent d’être pris au sérieux. »

Le pouvoir du récit, pas encore celui du jeu

La Saudi Pro League a gagné la bataille du récit, mais pas encore celle du terrain. Les vidéos virales, les présentations spectaculaires et les déclarations-chocs donnent l’image d’une ligue au sommet, alors que la réalité sportive reste en construction. On vend du rêve... et le rêve fonctionne.

Une communication efficace, une crédibilité à bâtir

La SPL sait qu’elle ne pourra pas rattraper la Premier League ou la Ligue 1 du jour au lendemain mais elle mise sur autre chose : **la visibilité, la vitesse et le symbole. **Faire venir Ronaldo, c’est acheter du prestige. Faire revenir Kanté chez les Bleus, c’est acheter du crédit. Et répéter que le championnat est “meilleur que la Ligue 1”, c’est imposer un narratif (même si les chiffres disent l’inverse !).

À ce jeu, l’Arabie saoudite avance vite. Mais le football, lui, avance à son rythme : **celui de la formation, de la culture, et du temps. **L’argent et la communication peuvent séduire, mais ils ne remplacent pas la structure.

Cristiano Ronaldo a toujours eu un don pour imposer sa propre réalité. Quand il dit que la Saudi Pro League est meilleure que la Ligue 1 ou la Liga portugaise, il ne cherche pas tant à provoquer (un peu quand même) qu'à participer à une opération de persuasion. Et à sa manière, il a déjà gagné une première bataille — celle de l’attention mondiale.

Mais la vérité du terrain, elle, est plus têtue.
Les classements internationaux, les statistiques d’intensité et les performances continentales confirment que la SPL reste aujourd’hui un championnat de transition, pas encore de référence. Oui, elle progresse. Oui, elle attire. Oui, elle fait parler. Mais elle n’a pas encore les structures, la densité, ni la culture tactique pour rivaliser avec les grandes ligues européennes. Ronaldo n’a pas tort sur la trajectoire, il se trompe seulement sur le timing.

La SPL avance, et vite. Ses infrastructures sont modernes, ses clubs mieux encadrés, ses stades pleins.
Mais le respect sportif ne s’achète pas, il se mérite sur la durée par la formation, la compétitivité, et la constance des résultats. Tant que ses stars viendront chercher une ultime aventure plutôt qu’un réel défi sportif, l’Arabie saoudite restera une destination, avant d'être une référence.

Ronaldo, en revanche, aura marqué un tournant.
Il aura ouvert la voie à d’autres, contribué à professionnaliser une ligue, et donné un visage à un football qui veut exister.
Il est en quelque sorte devenu un catalyseur de transformation. Mais entre inspirer le changement et incarner la supériorité, il y a encore un désert à traverser.

Ronaldo a lancé un rêve. Le football, lui, en attend encore la preuve.