Enhanced Games : le projet fou qui autorise le dopage et rêve d’humains surpuissants

Imagine un monde où se doper ne serait plus interdit, mais encouragé. Où battre des records mondiaux rapporterait un million de dollars, et où ton corps deviendrait un produit optimisé à la frontière du transhumanisme. Ce monde, c’est celui des Enhanced Games, une compétition sportive révolutionnaire – ou terrifiante ! – qui prévoit d’autoriser l’usage de substances interdites pour créer des athlètes « augmentés ».

Soutenu par des milliardaires comme Peter Thiel et Donald Trump Jr., le projet promet un spectacle extrême en mai 2026 à Las Vegas. Mais derrière l’effet d’annonce se cachent des questions vertigineuses : sommes-nous prêts à transformer le sport en laboratoire biotechnologique ? Et surtout, que deviendra l’idée même de performance quand elle sera achetée, dopée et vendue comme un produit ?

Des “Jeux augmentés” qui explosent les règles du sport

Aron D’Souza et ses investisseurs transhumanistes

Les Enhanced Games ne sont pas nés d’un simple fantasme sportif. Leur fondateur, Aron D’Souza, est un entrepreneur australien au parcours singulier.
Juriste diplômé d’Oxford, il s’est fait connaître en orchestrant pour Peter Thiel la bataille judiciaire contre Gawker Media, menant à sa faillite. Cette victoire lui ouvre les portes de la Silicon Valley, où il devient un interlocuteur influent des milieux transhumanistes.

Car derrière D’Souza, ce sont des figures comme Peter Thiel (cofondateur de PayPal et investisseur majeur dans les biotechnologies et la longévité) et Donald Trump Jr., via son fonds 1789 Capital, qui financent ce projet.
Leur vision commune ? Créer un monde où la technologie n’a pas de limite, où l’être humain peut être optimisé à volonté, et où la régulation traditionnelle n’est qu’un frein au progrès.

"Nous ne mettons pas à jour le règlement ; nous le réécrivons" - Aron D’Souza

Dopage supervisé et primes millionnaires

Concrètement, les Enhanced Games promettent un spectacle inédit : du 21 au 24 mai 2026 à Las Vegas, les athlètes s’affronteront sans aucune interdiction de dopage. Au contraire, ils seront encouragés à suivre des protocoles supervisés par des médecins privés, hors du giron de l’Agence mondiale antidopage.

La promesse est simple et brutale : 500 000 dollars pour chaque victoire, et 1 million de dollars pour chaque record du monde battu. Les organisateurs y voient un moyen d’atteindre « les limites ultimes de la performance humaine », là où le sport olympique resterait prisonnier d’une idéologie morale jugée archaïque.

Mais pour beaucoup, ce projet révèle surtout un basculement dangereux : la transformation du sport en vitrine du transhumanisme et en marché financier, où l’athlète devient un produit dopé, optimisé, monétisé.

Quand le corps humain devient un actif technologique

James Magnussen : l’athlète transformé en laboratoire vivant

Pour comprendre l’esprit des Enhanced Games, il suffit de regarder le parcours de James Magnussen, nageur australien double médaillé olympique.
Attiré par la prime d’un million de dollars promise pour tout record mondial battu, il a annoncé suivre un protocole de dopage supervisé dans l’espoir de devenir le nageur le plus rapide de l’histoire sur 50 mètres nage libre.

Résultat : Magnussen est passé de 94 kg à 114 kg, son corps prenant une masse musculaire extrême qui, selon ses mots, le faisait « ressembler plus à un bodybuilder qu’à un nageur ».
Plus qu’une transformation physique, c’est une vraie métamorphose qui révèle la logique profonde des Enhanced Games : transformer l’athlète en véritable laboratoire humain, où chaque cellule, chaque hormone devient un levier de performance et un investissement possiblement rentable.

Biotechnologies, longévité et amélioration humaine

Ce projet s’inscrit dans une tendance plus vaste : celle de la marchandisation de l’amélioration humaine.
Rien qu’en France, le secteur des biotechnologies a levé 2,3 milliards d’euros en 2021, en croissance de 50 % sur un an. Et aux États-Unis, des figures comme Peter Thiel investissent depuis longtemps des sommes colossales dans la recherche anti-vieillissement et les thérapies d’optimisation biologique.

Les Enhanced Games veulent aller encore plus loin. Ils prévoient de lancer dès 2025 une plateforme de télésanté, proposant des suppléments “améliorateurs” et des thérapies supervisées pour démocratiser l’accès à l’augmentation humaine. Un marché colossal qui pourrait transformer la performance sportive en simple vitrine d’une industrie biotechnologique bien décidée à repousser les limites du corps – et à en tirer profit.

Un transhumanisme sportif inégalitaire

De la performance naturelle à l’humain augmenté

Les Enhanced Games ne parlent pas de dopage. Ils préfèrent le terme « amélioration humaine ». Un glissement sémantique soigneusement orchestré par leur fondateur, Aron D’Souza, et ses investisseurs.
Car le mot dopage évoque la triche, la santé en danger et l’illégalité. « Amélioration », en revanche, évoque le progrès, la performance, la liberté individuelle.

Cette stratégie de langage reflète l’idéologie transhumaniste qui sous-tend le projet : le corps n’est plus une limite, mais une plateforme technologique à optimiser.
Les substances interdites par l’Olympisme deviennent ici des outils scientifiques respectables. Un discours qui séduit certains, mais qui effraie ceux pour qui le sport reste un espace d’effort, de discipline et d’équité.

Vers une fracture biologique assumée

Derrière cette rhétorique de liberté se cache une réalité brutale : l’accès à l’“amélioration” sera réservé aux plus riches ou aux mieux sponsorisés. Les protocoles proposés coûtent des dizaines de milliers de dollars : consultations médicales spécialisées, substances de pointe, suivi biologique avancé.

Le principe même du sport – affronter un adversaire à armes égales – disparaît au profit d’une hiérarchie fondée sur la capacité à financer son propre corps augmenté.
Les Enhanced Games risquent ainsi de consacrer un monde sportif à deux vitesses : d’un côté, les athlètes « enhanced » capables d’investir dans leur corps ; de l’autre, ceux qui resteront « naturels », condamnés à devenir invisibles.

Les institutions sportives face au séisme Enhanced Games

L’AMA, le CIO et World Aquatics en opposition frontale

Face à ce projet, la réaction des institutions sportives traditionnelles a été immédiate et sans appel.
L’Agence mondiale antidopage (AMA) a qualifié les Enhanced Games de « dangereux et irresponsables », affirmant que ce concept « met en péril la santé et le bien-être des athlètes ».
Le Comité international olympique (CIO), de son côté, évoque une « trahison des valeurs du sport », dénonçant un événement qui fait du dopage un argument commercial.
Quant à World Aquatics, la fédération internationale de natation, elle a déjà voté l’interdiction pure et simple de participation aux Enhanced Games pour tout nageur souhaitant conserver une licence officielle. Sebastian Coe, président de World Athletics, a même qualifié la participation de « moronic » – stupide – promettant de lourdes sanctions aux athlètes tentés par l’aventure.

Un futur de sports parallèles

Ces réactions traduisent une inquiétude profonde : et si les Enhanced Games réussissaient ? Si les primes millionnaires, le spectacle extrême et la fascination pour l’athlète « augmenté » attiraient un public lassé des records stagnants ?

Cette vision d’un sport transformé, entre divertissement extrême et rupture des règles traditionnelles, rappelle l’essor de nouveaux formats comme la Kings League, qui repensent déjà la compétition pour en faire un spectacle total.

Certains experts imaginent déjà un futur où cohabiteraient plusieurs types de compétitions : un sport « naturel », fidèle aux valeurs olympiques traditionnelles, et un sport « enhanced », assumant le dopage et l’optimisation biologique.
Un scénario qui poserait une question vertigineuse : qu’est-ce qu’un record sportif si ses règles changent selon l’événement ? Et surtout, quelle valeur restera-t-il à la performance « naturelle » face à un concurrent dopé et optimisé jusqu’à la moelle ?

Les Enhanced Games incarnent un tournant idéologique et économique majeur : celui d’un sport où l’humain devient un produit, où la performance se monnaye comme un placement financier, et où la frontière entre dopage et innovation disparaît derrière le vocabulaire rassurant de « l’amélioration ».
Pour les jeunes joueurs, éducateurs et parents, une question fondamentale se pose : quelles valeurs voulons-nous défendre dans le sport ? La discipline, l’équité et l’effort, ou la performance à tout prix, dopée, optimisée, monétisée ?
Quoi qu’il advienne, les Enhanced Games annoncent un futur où la définition même d’athlète sera redéfinie. Reste à savoir si ce futur sera celui d’un progrès partagé, ou d’une fracture où seuls les « humains augmentés » auront leur place sur le podium.