Fan tokens : le grand ménage de la blockchain sportive

Longtemps présentés comme la passerelle idéale entre clubs et supporters, les fan tokens ont incarné l’avant-garde du Web3 sportif. De Paris à Turin, de Barcelone à Manchester, ces actifs numériques ont séduit les clubs de football dans leur recherche de nouvelles sources de revenus et d’un lien direct et moderne avec leur communauté mondiale.
Mais après l’euphorie initiale des années 2020–2022, marquée par une spéculation effrénée et des valorisations démesurées, le secteur s’est progressivement réinventé.
En 2025, le temps des promesses laisse place à celui de la régulation, de la transparence et de l’utilité réelle. L’entrée en vigueur du règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation) marque une nouvelle ère : celle d’un Web3 sportif plus structuré, encadré et crédible.

Les grands clubs — du Paris Saint-Germain à la Juventus, en passant par le FC Barcelone ou Manchester City — repensent désormais leurs stratégies blockchain autour de la conformité, de la sécurité et de la valeur ajoutée pour les fans.

Derrière la chute spectaculaire de leur capitalisation, un modèle plus durable émerge, fondé sur des smart contracts vérifiables, des tickets NFT infalsifiables et des partenariats régulés.

La grande vague fan tokens

La bulle Web3 du football européen

Entre 2020 et 2022, le football mondial a connu une véritable fièvre crypto.
Les fan tokens, ces jetons numériques permettant d’interagir avec un club via la blockchain, ont explosé sous l’impulsion de plateformes comme Socios.com (propulsée par Chiliz) ou Bitci.
Leur promesse est de permettre aux supporters un rôle actif dans la vie du club — votes symboliques, accès à des expériences exclusives, ou encore récompenses en produits dérivés — mais aussi de générer de nouvelles recettes pour les clubs pro.
Les débuts ont été spectaculaires et cette réussite fulgurante a attiré les investisseurs, les sponsors et même certains joueurs comme Lionel Messi, lors de sa signature au PSG, qui aurait perçu une partie de sa prime d’arrivée en fan tokens PSG.

Le retour à la réalité

Mais cette croissance rapide cachait une fragilité profonde. Dès 2023, la valeur des fan tokens s’effondre :

  • le CHZ, jeton central de l’écosystème Chiliz, chute de –95% depuis son sommet de 2021,
  • la capitalisation totale des fan tokens football se situe entre 124 et 260 millions d’euros en octobre 2025, selon RocketFan et CoinMarketCap,
  • et le volume d’échanges quotidien, autrefois dopé par la spéculation, s’est réduit de près d’un tiers.

Top fan tokens par capitalisation (octobre 2025) :

  • AS Roma (ASR) : 41,5 M$
  • Santos (SANTOS) : 32,5 M$
  • OG (OG) : 23,4 M$
  • PSG : 18,8 M$
  • Barcelona (BAR) : 16,4 M$
  • Atletico Madrid (ATM) : 14,3 M$
  • Juventus (JUV) : 11,8 M$
  • Lazio (LAZIO) : 11,7 M$
  • Galatasaray (GAL) : 11,6 M$
  • Porto (PORTO) : 11,4 M$
  • Manchester City (CITY) : 10,8 M$
  • AC Milan (ACM) : 9,2 M$

Source :  https://www.coingecko.com/en/categories/fan-token

Les supporters, souvent mal informés sur la volatilité de ces actifs, ont exprimé leur déception et des enquêtes menées au Royaume-Uni et en Espagne soulignent un sentiment total d’incompréhension : beaucoup percevaient ces jetons comme un moyen “d’investir dans leur club”, et non comme de simples objets numériques à usage aussi limité.
Les régulateurs ont réagi : l’Advertising Standards Authority (ASA) a sanctionné Arsenal dès 2022 pour publicité trompeuse, tandis que le Parlement britannique a dénoncé le risque de “fan exploitation through crypto speculation”.
Malgré ces revers, le concept n’a pas disparu. Il a mûri.
Les clubs et les plateformes, désormais plus prudents, ont recentré leurs projets sur la valeur d’usage réelle : accès à des votes transparents, billets blockchain infalsifiables, ou expériences immersives dans le métavers. Le fan token 2.0 se veut plus responsable, moins spéculatif et beaucoup mieux encadré.

La fin du Far West crypto européen

L’Europe impose enfin un cadre commun

Après des années d’expérimentation sauvage, le Web3 sportif entre dans une ère de la régulation.
Depuis 2024, le règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation) redéfinit les règles du jeu pour tous les acteurs manipulant des actifs numériques — des plateformes d’échange aux émetteurs de tokens, en passant par les clubs qui distribuent des fan tokens.
L’objectif est double :

  1. protéger les consommateurs, souvent exposés à des produits complexes ;
  2. instaurer la transparence et la responsabilité des émetteurs.

Concrètement, chaque acteur opérant au sein de l’Union européenne doit désormais obtenir le statut de CASP (Crypto Asset Service Provider), délivré par les autorités nationales — en France, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).
Les émetteurs de fan tokens, classés comme utility tokens, sont tenus de publier un whitepaper validé, décrivant précisément les droits associés, les risques, la gouvernance et les mécanismes économiques du projet.

La conformité est le nouveau standard du Web3 sportif

Cette mise en conformité transforme profondément le paysage.
En septembre 2025, Chiliz devient la première infrastructure blockchain dédiée au sport à obtenir la licence CASP dans l’Union européenne. Un tournant symbolique car l’écosystème Web3 du sport, longtemps perçu comme purement spéculatif, entre désormais dans un cadre légal reconnu, contrôlé et interopérable.
La loi PACTE en France avait déjà ouvert la voie, dès 2019, en introduisant le statut de Prestataire de Services sur Actifs Numériques (PSAN). MiCA uniformise désormais ces obligations à l’échelle continentale, ce qui constitue une avancée majeure pour les clubs, les sponsors et les investisseurs institutionnels.
Les clubs européens en tirent plusieurs bénéfices comme un accès facilité à des partenaires financiers régulés, une sécurisation des opérations blockchain (billetterie, merchandising, engagement fans), et une nécessaire crédibilité renforcée auprès des supporters et des médias.
À l’image des plateformes de bookmaker crypto cherchant à se conformer aux nouvelles normes de transparence imposées par Bruxelles, le Web3 sportif se réinvente autour d’un même principe : la confiance.
La traçabilité des flux, la vérification des transactions et la lutte contre le blanchiment d’argent deviennent des piliers incontournables de cette nouvelle économie.

L’Europe régule, les clubs s’adaptent

La transparence Web3 du Paris Saint-Germain

Véritable précurseur du mouvement, le Paris Saint-Germain continue de jouer un rôle central dans l’adoption responsable des technologies blockchain.
Dès 2021, le club s’était déjà distingué en intégrant des fan tokens ($PSG) à son écosystème de récompenses et en rémunérant partiellement Lionel Messi en cryptoactifs lors de sa signature.
En 2025, le PSG franchit une nouvelle étape avec la création du PSG Labs, incubateur Web3 installé à Station F, dédié aux start-ups travaillant sur la tokenisation et la fidélisation numérique des supporters.
Le partenariat stratégique avec Bitpanda, annoncé en janvier 2025, étendu au Web3 en juillet 2025, appuie cette volonté d’innovation encadrée au travers de paiements simplifiés via stablecoins, de programme de fidélité on-chain, et d’une traçabilité complète des transactions sur la blockchain Chiliz Chain.

Le club parisien ne cherche plus à surfer sur la hype, mais à bâtir un modèle durable, dans lequel la blockchain vient renforcer la confiance et la transparence, plutôt qu’elle ne suscite la spéculation.

La Juventus et le retour à la gouvernance raisonnée

En Italie, la Juventus de Turin reste l’un des symboles forts du Web3 sportif européen.
Son partenariat historique avec Socios.com a permis au club d’expérimenter très tôt la démocratie participative via les fan tokens : choix de messages affichés dans le stade, votes pour les maillots d’avant-saison ou désignation de joueurs du mois.
Mais la Vecchia Signora a également compris les limites du modèle… puisque face à la volatilité du marché et aux critiques des supporters, la Juve a réorienté son projet vers un usage plus concret : les tokens servent désormais principalement à accéder à des expériences exclusives, à voter pour des initiatives communautaires, ou à obtenir des avantages tangibles (visites du centre d’entraînement, maillots dédicacés).
En parallèle, la récente prise de participation de Tether (USDT) à hauteur de 10,7% du capital du club symbolise un rapprochement entre la finance traditionnelle et la crypto-régulée.

Barça, City, Arsenal : un recentrage stratégique après l’euphorie

Le FC Barcelone, pionnier du fan token ($BAR), a connu une désillusion rapide.
Après avoir levé 1,3 million de dollars en deux heures lors du lancement de son jeton en 2020, le club catalan a vu sa valeur chuter de plus de 80% en trois ans.
Depuis 2024, la direction a ralenti sa communication sur le sujet et concentre ses efforts sur des projets éducatifs et communautaires : ateliers Web3 pour jeunes supporters, contenus exclusifs NFT liés à l’histoire du club, et intégration future de la billetterie blockchain pour les matchs amicaux.
Même approche chez Manchester City et Arsenal, où les partenariats crypto ont été revus pour privilégier des collaborations éthiques et conformes aux standards MiCA. Leur objectif est désormais en premier lieu la fidélisation numérique à long terme, à savoir transformer les supporters en membres actifs d’un écosystème sécurisé et de confiance.

Une nouvelle génération de partenariats sportifs Web3

Les plateformes elles-mêmes ont changé de posture. Socios.com et Chiliz concentrent désormais leurs efforts sur l’interopérabilité et la gouvernance transparente, tandis que des acteurs comme Crypto.com ou Binance Fan Zone se repositionnent sur la conformité européenne.
Les clubs, de leur côté, s’entourent de partenaires certifiés CASP et d’auditeurs externes pour encadrer la gestion de leurs actifs numériques.

Cette transformation se définit par :

  • moins de spéculation, plus de confiance,
  • moins de volume, plus de valeur d’usage,
  • moins de marketing, plus de structure.

L’Europe, longtemps en retard sur les États-Unis ou l’Asie, s’impose aujourd’hui comme le laboratoire mondial du Web3 sportif responsable.

Les géants du jeu passent à l’offensive

La FIFA trace sa propre route sur la blockchain

Pour la première fois de son histoire, la FIFA a décidé de ne plus dépendre d’acteurs extérieurs pour ses projets Web3.
En mai 2025, l’instance a lancé FIFA Blockchain, un réseau autonome basé sur la technologie Avalanche, conçu pour héberger l’ensemble de ses solutions numériques : billetterie, jeux, collectibles et gestion des données fans.
L’objectif ambitieux est de réunir 1,5 milliard de supporters dans un écosystème unique, transparent et interopérable.
Les premières applications confirment cette stratégie de fond :

  • FIFA Collect, la plateforme NFT migrée depuis Algorand,
  • FIFA Rivals, jeu mobile Web3 qui repose sur la blockchain Mythos (distincte du réseau FIFA Blockchain) et qui intègre des cartes NFT de joueurs,
  • et surtout la billetterie Coupe du Monde 2026, désormais intégralement tokenisée.

Selon le rapport Deloitte Sports Industry Outlook 2023 (repris dans l’étude Transformative blockchain technological approaches to sports events PMC/NIH 2025), plus de 5 millions de billets NFT ont été vendus dans le monde en 2023, réduisant la fraude de près de 80%.
Un cas d’école qui modernise le ticketing sportif mondial, avec des transactions traçables et des reventes encadrées par smart contracts.

L’UEFA mise sur une fidélisation régulée

Pendant que la FIFA bâtit son réseau, l’UEFA poursuit une stratégie plus pragmatique : s’appuyer sur l’existant tout en le régulant.
Depuis 2022, son partenariat avec Socios.com s’est mué en un laboratoire d’engagement fans pour les grandes compétitions européennes : Ligue des champions, Ligue Europa, et Conference League. Les détenteurs de fan tokens des clubs qualifiés peuvent recevoir des objets officiels numérotés, des souvenirs de matchs ou des expériences VIP, le tout encadré par les règles de transparence imposées par MiCA.

NBA Top Shot

Aux États-Unis, la NBA a transformé son échec en leçon. Après un effondrement de –99% du volume de ventes entre 2021 et 2023, NBA Top Shot (créé par Dapper Labs) a entrepris une restructuration profonde. L’entreprise a instauré un contrôle d’identité KYC, des rapports financiers trimestriels audités, et une garantie de rareté vérifiable pour chaque carte numérique.
Le règlement amiable conclu avec la SEC (juin 2024, 4 millions de dollars) a levé une incertitude majeure : les Moments Top Shot ne sont pas des titres financiers. Cette décision a rouvert la voie à une adoption institutionnelle, tout en assainissant l’écosystème NFT sportif.
Les ventes se stabilisent aujourd’hui autour de 2,5 millions $ par mois, ce qui est véritablement le signe d’un marché plus sain, plus lent, mais plus solide.

Sorare, le virage technique de la survie

Côté européen, Sorare a dû se réinventer pour ne pas sombrer. Confrontée à une chute de 70% de ses revenus entre 2022 et 2024, la start-up française a migré sa plateforme vers Solana, un réseau plus rapide et plus économe.
Cette modernisation, accompagnée d’un recentrage sur la gamification responsable, vise à replacer l’utilisateur — et non la spéculation — au centre du modèle.
Sorare reste déficitaire, mais son pari technologique pourrait lui rendre la crédibilité perdue durant la phase euphorique du Web3.

Chiliz : l’épine dorsale du sport numérique

Pendant ce temps, Chiliz consolide sa place de colonne vertébrale du Web3 sportif. Ses dernières évolutions – Dragon8, Pepper8, Snake8 – introduisent une gouvernance plus mature : inflation maîtrisée, burn automatique des tokens, distribution transparente des récompenses, et compatibilité totale avec le cadre MiCA.
Ces optimisations ont permis une hausse de 275% de l’activité on-chain en 2024, dopée par de nouveaux partenariats en Asie, dont Naver Pay (33 millions d’utilisateurs).
Avec son wallet biométrique sécurisé et sa marketplace décentralisée, Chiliz s’affirme désormais comme une infrastructure stratégique pour les clubs et les fédérations.

Un écosystème enfin adulte

De la FIFA à la NBA, de Sorare à Chiliz, tous les acteurs convergent vers une même logique : transparence, conformité et utilité.
L’époque des projets opportunistes est révolue. Les grandes institutions sportives comprennent désormais que la blockchain n’est pas une mode, mais un socle technologique durable, au même titre que les droits TV ou les partenariats commerciaux.
Le Web3 sportif entre dans sa phase de maturité : moins de promesses, plus de preuves. Et c’est peut-être là que commence vraiment sa révolution.

Quatre ans après la frénésie des premiers fan tokens et des NFT à tirage limité, le Web3 sportif a cessé de courir après les effets d’annonce.
Il se construit désormais sur des fondations réglementaires et technologiques solides, sous l’impulsion du règlement MiCA, de la professionnalisation des acteurs et de l’intégration progressive par les institutions sportives elles-mêmes.
L’Europe, longtemps prudente, est devenue le laboratoire mondial du Web3 régulé : Socios/Chiliz obtient sa première licence crypto sportive, la FIFA déploie sa propre blockchain, le PSG intègre Bitcoin à sa trésorerie, tandis que les régulateurs imposent un cadre qui distingue enfin innovation et dérive spéculative.
Le Web3 n’est plus une promesse marketing : il devient une infrastructure de confiance, au service de l’engagement, de la traçabilité et de la gouvernance.
Le temps des tokens-mirages touche à sa fin. Ce qui s’installe à sa place, c’est un écosystème rationnel, interopérable et supervisé, où les projets survivent parce qu’ils respectent la règle du jeu.
Les clubs, les ligues et les plateformes qui auront compris cela d’ici 2026 seront ceux qui définiront la prochaine décennie du sport numérique — un sport connecté, régulé et crédible, où la blockchain n’est plus un pari, mais un pilier.