Et si demain, plus personne ne voulait présider ton club ?

La démission de Guénola Bodo, présidente bénévole de la Jeanne d’Arc de Besné (Loire-Atlantique), le 3 novembre 2025, est un signal d’alarme pour tout le football amateur français.
Dans un communiqué devenu viral, elle dénonce un ras-le-bol général : critiques incessantes, absence de respect, manque d’implication de certains parents, et pression permanente sur une poignée de bénévoles déjà à bout. 

Sa phrase – « Un club n’est pas une garderie » – résume le cœur du problème. Beaucoup de familles considèrent le paiement de la licence comme l’achat d’un service clé en main : on dépose l’enfant, on exige du jeu, des résultats, un survêtement à l’heure... mais on ne participe plus à la vie du club en contre partie.
Les dirigeants, eux, doivent tout assumer : gestion administrative, conflits, finances, logistique, sécurité juridique, tout cela pour zéro euro et souvent au détriment de leur vie personnelle.

Cette histoire rejoint une réalité plus large : baisse du nombre de bénévoles, montée des comportements agressifs au bord des terrains, judiciarisation des responsabilités des présidents, fossé grandissant entre un football professionnel surmédiatisé et un football amateur qui survit grâce à la passion de quelques-uns. Derrière la démission de Guénola Bodo, c’est tout un modèle associatif qui vacille.

Le choc Guénola Bodo

Un communiqué qui claque comme un avertissement

Le 3 novembre 2025, Guénola Bodo, présidente de la Jeanne d’Arc de Besné (Loire-Atlantique), publie un communiqué qui fait l’effet d’une gifle dans le foot amateur.
Elle y parle de « ras-le-bol général », de manque de respect, de désaccord profond avec certains parents et licenciés, et surtout d’une chose : l’écart gigantesque entre ce que les gens imaginent du rôle de président... et la réalité du terrain.

Elle rappelle qu’un club, ce n’est pas un service payant qui tourne tout seul. C’est une équipe de bénévoles qui sacrifient leurs soirées, leurs week-ends, parfois leur vie de famille, pour que les enfants puissent jouer au foot.
Quand ces efforts ne sont ni compris, ni respectés, la corde finit par casser. C’est exactement ce qui se produit à Besné.

« Un club n’est pas une garderie »

Au cœur de son message, une phrase fait le tour des réseaux : « Un club n’est pas une garderie ».
Elle vise directement un phénomène que beaucoup de dirigeants connaissent par cœur :

  • des parents qui déposent leur enfant sans même dire bonjour à l’éducateur,
  • aucun coup de main pour les déplacements, les tournois, la buvette,
  • mais des messages et des reproches dès que quelque chose ne va pas : pas assez d’entraînements, pas assez de matchs, pas assez de temps de jeu, survêtement en retard, etc.

« On est dans une société de la consommation. On pose, on réclame, on réclame, et on ne donne rien en retour. C’est le monde associatif, pas une entreprise. »

Cette confusion association / société commerciale est le point de départ de beaucoup de tensions.
On paie une licence, donc on pense avoir “des droits” comme un client face à un prestataire. Sauf qu’en face... ce ne sont pas des salariés, mais des bénévoles.

Un cas isolé... qui parle à des milliers de présidents

Dans son texte, Guénola Bodo écrit qu’elle est certaine que « de nombreux bénévoles se reconnaîtront » dans ce qu’elle traverse et les réactions lui donnent raison aux travers des commentaires de soutien d’autres présidents, les partages sur les réseaux de districts, ligues et pages spécialisées foot amateur, et les débats dans les clubs où chacun raconte “chez nous aussi, on en est là”.

Le président est en première ligne quand quelque chose tourne mal, il assume la responsabilité pénale en cas de problème grave, et pourtant, c’est souvent le moins considéré au quotidien, celui qu’on remercie le moins, celui qu’on vient voir uniquement pour se plaindre.

« Il prend toutes les remontrances de tous les éducateurs et de tous les parents… pour zéro. »

La démission de Guénola Bodo n’est donc pas seulement l’histoire d’une personne fatiguée. C’est le symbole d’un système déséquilibré, où l’on demande à des présidents bénévoles d’être disponibles, compétents, irréprochables, solides mentalement, juridiquement blindés… sans leur offrir ni cadre protecteur, ni soutien réel, ni reconnaissance à la hauteur.

Président bénévole : un rôle impossible à tenir dans la durée ?

Une fonction à 360° qui déborde sur la vie perso

Derrière le mot président, beaucoup imaginent quelqu’un qui “signe les papiers” et fait deux discours par an. La réalité, dans un club amateur, c’est plutôt un poste à 360° avec :

  • représentation du club auprès de la mairie, du district, des partenaires,
  • décisions sportives lourdes (engagement d’équipes, choix des éducateurs, arbitrage des conflits),
  • gestion des inscriptions, des licences, des créneaux de terrain,
  • recherche de financements, dossiers de subventions, sponsors,
  • et gestion des crises : bagarre au bord du terrain, parent mécontent, impayés, démission d’un éducateur...

Les fiches officielles sur le rôle du président d’association sportive confirment ce constat : il représente légalement le club, signe les contrats, veille au respect du Code du travail et du Code de la sécurité sociale quand il y a des salariés, suit les comptes et porte la responsabilité de la bonne marche de la structure. 

Concrètement, pour beaucoup de présidents bénévoles, cela signifie :

  • 3 à 4 soirs par semaine au club,
  • le samedi et le dimanche sur les terrains,
  • des appels, mails et messages à gérer tous les jours, y compris tard le soir,
  • des vacances écourtées parce que “le club, ça ne s’arrête jamais”.

Tout cela sans salaire, sans 13ᵉ mois, sans RTT... et avec une famille qui finit souvent par subir cette passion devenue charge permanente.

Sous la menace de la responsabilité pénale

Ce que la plupart des parents ne voient pas, c’est la dimension juridique qui pèse sur les épaules du président.

En droit français, le président d’une association peut voir sa responsabilité pénale engagée pour toute infraction liée au fonctionnement de l’association, dès lors qu’il a participé aux faits ou qu’il en avait connaissance.
C’est clairement rappelé par plusieurs guides pour dirigeants associatifs : manquement au droit du travail, au droit fiscal, à la sécurité sociale, oubli de déclarations, non-respect des règles de sécurité lors d’une manifestation... peuvent entraîner amendes importantes et, dans les cas les plus graves, des peines d’emprisonnement. 

Autrement dit, si un accident grave arrive pendant un entraînement mal encadré, si les règles de sécurité ne sont pas respectées, si des salariés sont mal déclarés, c’est le président qui peut se retrouver convoqué devant un tribunal.

Et cela vaut aussi pour des situations du quotidien comme l'organisation de tournois sans dispositif de sécurité suffisant, l'encadrement insuffisant de mineurs lors d’un déplacement, ou encore le non-respect des consignes sanitaires ou réglementaires.

On demande donc à des personnes bénévoles, souvent sans formation juridique, de naviguer dans un environnement où la moindre erreur peut avoir des conséquences pénales.
Certains guides pour dirigeants le reconnaissent : les bénévoles sont théoriquement jugés avec une certaine indulgence, mais cela n’enlève ni le stress permanent, ni le risque

On comprend mieux pourquoi, à force de cumuler des nuits courtes, des journées de travail + soirées au club, de la pression des parents, et la peur de “faire une erreur”, certaines et certains finissent par se protéger en claquant la porte.

La charge mentale, l’autre “pandémie” du foot amateur

Au-delà du temps et du droit, le vrai poison pour les présidents bénévoles, c’est la charge mentale.

Ce n’est pas uniquement le volume de tâches, c’est le fait de :

  • penser au club en permanence : “Ai-je bien déclaré ceci ? Qui va ouvrir le stade samedi ? Qui gère la buvette ?”
  • porter les soucis de tout le monde : éducateurs, parents, joueurs, mairie, arbitres, fournisseurs...
  • être la personne vers qui tout remonte dès qu’il y a un problème, même minime.

Les travaux récents sur les dirigeants associatifs montrent que cette charge mentale est aujourd’hui l’un des premiers facteurs d’épuisement : accumulation d’e-mails, réunions tardives, conflits à gérer, et sentiment d’être toujours en retard et jamais “à jour”. 

Le système ne renvoie pas assez de positif à ceux qui le font vivre. Au mieux, ils reçoivent un panier garni en fin de saison. Au pire, ils reçoivent... des insultes au téléphone.

Pour un président, cela crée un cocktail explosif :

  • un investissement affectif énorme (c’est souvent leur club, parfois depuis des décennies),
  • un sentiment de solitude au sommet : “en cas de problème, je suis seul devant”,
  • une incapacité à couper mentalement, même quand il est en famille ou au travail.

C’est exactement ce que décrit la démission de Guénola Bodo : épuisement psychologique, vie personnelle sacrifiée, impression que quoi qu’elle fasse, ce n’est jamais assez.

Parents, licences et rêves de carrière

Quand la licence se transforme en faux contrat de service

La phrase de Guénola Bodo – « un club n’est pas une garderie » – décrit une dérive qu’on retrouve partout : des parents qui se comportent comme si la licence était un abonnement à un service sportif garanti.

Le problème est qu'un club amateur n’est ni une académie privée, ni une salle de sport. C’est une association qui repose sur du temps donné par des bénévoles, des éducateurs parfois à peine défrayés, et des budgets où la licence ne couvre qu’une partie des coûts réels.

Quand les parents se placent en position de “clients” et non d’acteurs du projet, chaque détail devient source de conflit : report d’entraînement, manque de voitures pour un déplacement, tournoi annulé, retard sur les équipements… Et c’est le président qui encaisse : mails, coups de fil, et remarques au bord du terrain.

Là où, il y a quelques années, on trouvait naturellement des parents prêts à faire un gâteau, tenir une buvette, accompagner en voiture, il faut aujourd’hui relancer, insister, presque supplier pour obtenir le même niveau d’implication.
La charge de travail se concentre ainsi sur une poignée de dirigeants... qui finissent par craquer.

Le phénomène Mbappé

À cette posture de “client” s’ajoute un autre poison : le fantasme du futur joueur pro.
Dans beaucoup de clubs, les éducateurs parlent du « phénomène Mbappé » : des parents persuadés que leur enfant a un destin et que chaque choix du coach est un choix de carrière.

Concrètement, ça donne :

  • des contestations sur le poste occupé : « pourquoi il ne joue pas 10 ? »
  • des reproches sur le temps de jeu : « s’il ne joue pas titulaire, il ne progressera jamais »
  • des menaces à peine voilées : « on ira dans un autre club », « on connaît des gens dans tel centre de formation ».

Ce qui est oublié, c’est que :

  • la probabilité qu’un enfant de club amateur devienne pro est infime,
  • le rôle premier du club est éducatif et social,
  • les éducateurs et dirigeants qui subissent cette pression sont, pour la plupart, bénévoles.

À force de réclamer un parcours de joueur de haut niveau dans un contexte associatif, on épuise ceux qui font exister ce cadre.

Du bord de touche au dérapage

La dernière étape, c’est quand la tension ne reste plus verbale.
Elle se voit dans les faits divers qui se multiplient :

  • éducateurs insultés ou menacés devant les enfants,
  • jeunes arbitres pris pour cible,
  • bagarres entre parents lors de matchs U9 ou U10, avec parfois des blessés sérieux.

Pour un président bénévole, chaque week-end ressemble alors à une gestion de risques :

  • risque d’incident au bord du terrain,
  • risque disciplinaire (district, ligue),
  • risque juridique si les règles de sécurité n’ont pas été suffisantes,
  • risque d’usure des éducateurs qui finissent par partir.

« On ne peut plus continuer comme ça. »

Crise du bénévolat sportif

Moins de bénévoles, plus de charge sur les mêmes épaules

La situation s’inscrit dans une tendance mesurée à l’échelle nationale.
La part de Français engagés comme bénévoles associatifs est passée de 10% en 2019 à 9% en 2024.
Moins de monde pour faire tourner les associations... alors que les besoins, eux, ne diminuent pas.

Dans le même temps, la part de ceux qui s’engagent toutes les semaines recule encore plus fortement. Ce sont pourtant ces bénévoles très réguliers (dirigeants, trésoriers, responsables de section) qui sont la charpente des clubs. Quand l’un d’eux s’arrête, il n’est pas remplacé “mécaniquement”.

Le secteur sportif est au cœur de cet enjeu : il représente environ un quart de tout le bénévolat associatif en France.
Concrètement, cela veut dire que les difficultés que l’on observe dans le foot amateur ne sont pas un cas particulier, mais le symptôme d’une crise plus large du modèle associatif.

Petits clubs, grandes fragilités

Tous les clubs ne sont pas touchés de la même manière. Les petites structures rurales ou périurbaines (comme la JA Besné) sont souvent les plus exposées :

  • peu de dirigeants disponibles,
  • difficulté à recruter de nouveaux bénévoles,
  • budget ultra-serré (dépendant des subventions locales et de quelques partenaires),
  • concurrence des clubs voisins et des autres activités pour les jeunes.

Dans ces clubs, il suffit d’un président qui démissionne, d’un trésorier qui arrête, ou d’un éducateur clé qui sature, pour que tout l’édifice vacille : équipes retirées des championnats, fusion forcée avec un club voisin, voire disparition pure et simple.

C’est ce que disent beaucoup de techniciens dans les districts : on sait gérer un manque de joueurs… mais un manque de dirigeants, c’est beaucoup plus difficile à compenser.

La reconnaissance, variable décisive... trop souvent oubliée

Les études nationales sur le bénévolat rappellent toutes le même constat : le manque de reconnaissance arrive dans le top des raisons de décrochage.
Dans “La France bénévole”, 23% des bénévoles citent l’absence de reconnaissance comme leur principale déception, et beaucoup disent souhaiter avant tout des moments conviviaux et un minimum de valorisation symbolique.

Or, dans le foot amateur :

  • on remercie rarement les présidents,
  • on invite peu les bénévoles aux décisions,
  • on leur parle surtout quand il y a un problème.

« Les bénévoles, on les appelle quand on a besoin d’un trou à boucher. On ne les associe pas à la vie du club. »

Le message est clair : sans reconnaissance, le bénévolat devient une usure. Et sans bénévolat, il n’y a tout simplement plus de club.

Cinq leviers concrets pour éviter le prochain craquage

L’objectif, maintenant, c’est de sortir du constat pour passer au pratique. Que peut faire un club (même modeste) pour éviter de vivre un “cas Besné” ?

1. Partager la charge

Premier levier : arrêter le modèle du président “homme-orchestre”.

Quelques pistes très concrètes :

  • créer des fiches de poste bénévoles (secrétariat licences, logistique matchs, communication, partenariats…) pour clarifier qui fait quoi ;
  • mettre en place des procédures écrites pour les tâches récurrentes : inscriptions, organisation de tournois, déplacement d’équipes, gestion des incidents ;
  • constituer de vraies équipes autour du président : vice-président, référents de catégories, responsable événementiel, etc.

Ça ne fait pas disparaître la charge, mais ça la diffuse. Et surtout, ça permet à un nouveau président de ne pas repartir de zéro si l’actuel s’en va.

2. Mettre un cadre clair aux parents

Deuxième levier : sortir de la logique “on subit les parents”.

Trois outils simples, mais puissants :

  1. Réunion de début de saison obligatoire pour expliquer ce qu’est une association, détailler le budget d’un club (licence ≠ prestation privée), et rappeler les règles de base.
  2. Charte des parents signée à l’inscription, qui pose noir sur blanc : ce qui est attendu (respect, soutien, aide), et ce qui est interdit (insultes, pression sur les coachs, intrusion sur le terrain).
  3. Procédure disciplinaire interne : convocation, avertissement, suspension d’accès au terrain, et, en cas de dérapages graves, information au district / à la ligue et exclusion si nécessaire.

Des clubs qui ont mis en place ce type de dispositifs constatent une baisse significative des incidents au bord des terrains. Ce n’est pas parfait, mais ça envoie un message : le club protège ses bénévoles.

3. Utiliser les appuis extérieurs : FFF, ligues, et collectivités

Troisième levier : ne pas rester seul dans son coin.

En novembre 2025, la FFF a annoncé un plan de soutien inédit au football amateur et au développement du féminin : l’enveloppe dédiée doit passer de 106 M€ à 151 M€ par an d’ici 2028-2029, soit plus de 550 M€ investis sur quatre saisons.

Ce plan prévoit notamment :

  • des conseillers en développement pour accompagner les clubs dans leurs projets associatifs,
  • des aides ciblées pour la structuration (emploi, digitalisation, accueil des jeunes),
  • des dispositifs pour lutter contre les violences et incivilités.

Les ligues et districts disposent aussi :

  • de formations pour dirigeants (responsabilités, gestion des conflits, communication),
  • de guides juridiques,
  • de cellules de soutien en cas d’incidents graves.

Enfin, les collectivités locales (mairies, intercommunalités) peuvent soutenir les clubs au-delà de la subvention classique : mise à disposition de salles pour les réunions, aide sur la communication, coup de main sur certains dossiers administratifs.

S’appuyer sur ces dispositifs n’est pas un aveu de faiblesse, c’est au contraire une manière de sécuriser son action.

4. Protéger la santé mentale des dirigeants

Quatrième levier : parler santé mentale de façon décomplexée.

Chez beaucoup de présidents, on retrouve les mêmes signaux d’alerte à savoir fatigue chronique, irritabilité, difficultés de sommeil, impression d’être constamment “en retard”, et sentiment de ne plus réussir à prendre de plaisir au club.

Les spécialistes du burn-out des dirigeants – dans l’entreprise comme dans les associations – recommandent plusieurs réflexes essentiels  :

  • poser des limites temporelles : soirs “off club”, vacances vraies, pas de mails après une certaine heure ;
  • partager les émotions avec d’autres présidents ou dirigeants (café inter-clubs, groupes WhatsApp dédiés, réunions de district) ;
  • ne pas hésiter à consulter un médecin ou un psychologue en cas de signes persistants d’épuisement.

On peut ajouter : il faut aussi se donner le droit de souffler, et que le club accepte l’idée qu’un président ne soit pas disponible 7 jours sur 7.

5. Changer de culture

Dernier levier, plus profond : changer la culture dans laquelle baigne le football amateur.

Tant que les parents se vivront comme des clients, les bénévoles comme des bouche-trous, et les présidents comme des fusibles, les démissions comme celle de Guénola Bodo continueront.

À l’inverse, si on martèle l’idée que chaque parent est aussi membre d’une association, chaque licencié (même jeune) peut aider un peu à son échelle, et chaque bénévole est un acteur central du projet du club, alors le terrain devient moins glissant pour les dirigeants.

La démission de Guénola Bodo n’a rien d’un simple épisode local ou d’un “coup de fatigue”. Elle révèle un déséquilibre profond : on demande à des présidents bénévoles d’assumer des responsabilités quasi professionnelles, avec une pression juridique, humaine et organisationnelle énorme, tout en restant dans l’ombre et en encaissant les critiques dès que quelque chose déraille. Dans ce contexte, parler de ras-le-bol n’a rien d’excessif, c’est le constat lucide d’un modèle qui craque.

Ce qui se joue à Besné dépasse largement ce club. On retrouve les mêmes ingrédients partout : des parents qui se vivent de plus en plus comme des clients parce qu’ils ont payé une licence, des comportements agressifs au bord des terrains, une confusion permanente entre association et entreprise, une érosion du bénévolat qui concentre la charge sur toujours les mêmes, et des dirigeants qui finissent par se demander pourquoi ils sacrifieraient encore leurs soirées, leurs week-ends et parfois leur santé pour si peu de reconnaissance.

Pourtant, tout le monde perd quand un président claque la porte. Les joueurs perdent un cadre de pratique, les éducateurs perdent un soutien, les familles perdent un lieu de socialisation, la commune perd un acteur majeur de la vie locale. Sans ces femmes et ces hommes qui acceptent de prendre la responsabilité du club, il n’y a plus de vestiaires ouverts, plus d’équipes engagées, plus de match le samedi ou le dimanche. Le football amateur ne tient que parce que des dirigeants s’obstinent à tenir.

La réponse ne peut pas être seulement de leur demander d’être “plus solides” mentalement. Elle doit passer par un partage réel de la charge au sein des clubs, par un changement d’attitude des parents, par un soutien concret des institutions, et par une vraie reconnaissance de l’engagement bénévole, au quotidien, pas seulement au moment d’un pot de fin de saison. Il faut accepter l’idée qu’un club n’est pas un prestataire, mais un projet collectif où chacun – dirigeants, éducateurs, joueurs, parents – a une part de responsabilité.

L’histoire de Guénola Bodo doit servir d’avertissement, mais aussi de point de départ. Si le football amateur veut continuer à exister et à jouer son rôle social auprès des jeunes, il va falloir protéger celles et ceux qui le portent à bout de bras. Tant qu’on considérera les présidents bénévoles comme des fusibles plutôt que comme des piliers, les démissions se multiplieront. Le jour où il n’y en aura plus, il sera trop tard pour découvrir à quel point tout le monde avait besoin d’eux.