Les Arènes, thriller d’un monde où réussir, c’est aussi parfois perdre
Sorti en mai 2025, Les Arènes, premier long-métrage de Camille Perton, s’inscrit dans un territoire rarement exploré au cinéma : celui des coulisses du football professionnel, abordé sous l’angle d’un thriller social tendu et intimiste. Le film suit Brahim, jeune espoir de 18 ans, aux portes de la signature d’un contrat qui pourrait bouleverser sa vie. Mais derrière l’ascension rêvée se dessine un parcours semé de tensions, de calculs et de choix irréversibles.
Sans jamais filmer un seul match, Les Arènes choisit de s’éloigner des projecteurs pour mieux explorer les zones d’ombre : celles des vestiaires, des négociations, des familles, des ambitions contrariées. Le terrain n’est ici qu’un décor hors champ, tandis que la caméra se concentre sur les visages, les silences, les failles humaines.
Entre pression familiale, fragilités personnelles et complexité d’un système marchandisé, Camille Perton signe une œuvre sobre et incisive. Un film qui interroge sans moraliser, qui met mal à l’aise parfois, mais qui capte avec justesse les fissures d’un rêve devenu industrie.
Une fiction ancrée dans les réalités lyonnaises
Bien que Les Arènes soit une œuvre de fiction, son ancrage dans la réalité est avéré. La réalisatrice Camille Perton s’est notamment inspirée du parcours de Jordy Gaspar, ancien latéral droit formé à l’Olympique Lyonnais entre 2008 et 2016.
Le personnage principal, Brahim Chekir, interprété par Iliès Kadri, porte d’ailleurs un nom évoquant deux autres figures emblématiques du club rhodanien : Rayan Cherki et Nabil Fekir. Cette référence discrète assume l’influence de l’OL dans la genèse du film et renforce son authenticité. Par ailleurs, Iliès Kadri, originaire de Mions dans le Rhône et passionné de l’Olympique Lyonnais, incarne avec justesse ce jeune talent confronté aux réalités du football professionnel.
Sous pression, la cellule familiale vacille au rythme des négociations
Dans Les Arènes, le football est une affaire de famille, une promesse collective de revanche sociale. Au cœur de cette dynamique, la relation entre Brahim et son cousin Mehdi (Sofian Khammes), agent improvisé, donne au film sa dimension la plus humaine et la plus ambivalente. Mehdi n’est ni un requin ni un professionnel aguerri, mais un proche animé par la volonté de « bien faire », de placer Brahim, de le protéger. Sauf que dans l’univers parfois brutal du football professionnel, la bonne volonté ne suffit pas toujours.
Le film capte avec finesse l’usure progressive de cette alliance familiale, d’abord presque fusionelle (on se souviendra de la scène d'imagination autour du projet de la maison familiale) puis fragilisée par les premières désillusions.
Les enjeux deviennent trop grands, les décisions trop complexes. Et ce lien, autrefois simple et affectif, se transforme en tension constante : l’un veut avancer vite, l’autre doute, hésite, questionne, avance avec grande prudence. À mesure que Brahim se rapproche des contrats en or, les liens du sang se distendent. Mehdi ne semble plus être le bon relais. Il devient obstacle, souvenir, témoin d’une époque passée où les choses étaient encore simples.
C’est dans cette fracture intime que le film trouve l’un de ses meilleurs tons. Les Arènes montre comment l’ascension d’un joueur peut ébranler les équilibres affectifs. Pas de trahison brutale ici, mais une érosion douce, presque inévitable. Et derrière les choix de carrière, des blessures discrètes, familiales, irréparables. Une manière pudique mais puissante d’exprimer ce que le football professionnel peut coûter en dehors du terrain.
Les pièges d’un rêve signé trop vite
Brahim, comme beaucoup de jeunes talents, veut brûler les étapes. Il veut signer vite, fort, au meilleur endroit possible.
Il veut que son tour arrive, en premier si possinle, et il le veut maintenant. Les Arènes traduit avec justesse cette tension intérieure, cette impatience quasi physique qui saisit les joueurs ambitieux qui savent que l'aboutissement d'un contrat n'est plus si loin. Cette précipitation est nourrie par l’environnement : les conseils intéressés, les contrats négociés stratégiquement, les amis qui signent avant lui, même s’ils sont en apparence moins doués. L’effet de comparaison pèse lourd. Et la jalousie, même muette, s’installe.
Dans cette atmosphère, Brahim cède à une promesse de réussite. Il se laisse séduire par un agent plus aguerri, plus élégant, plus efficace en apparence. Ce nouveau représentant incarne la réussite immédiate, le monde professionnel dans ce qu’il a de plus éclatant. Mais derrière cette façade, les codes sont opaques, les montants explosent sans logique apparente, et les décisions se prennent vite, trop vite.
Le film met ainsi en scène une forme de naïveté : celle de croire que tout se négocie, que tout se calcule, et que les résultats sont garantis et suivront nécessairement. Mais dans le football, rien n’est garanti. Le contrat n’assure pas le temps de jeu. La promesse ne vaut pas l’expérience. Et l’ascension tant attendue peut vite tourner court. Cette leçon amère, Les Arènes la déroule sans lourdeur, à travers un récit sobre, mais marqué par une tension constante.
Petits passe-droits, grandes désillusions : la mécanique d’un système déconnecté
Derrière la trajectoire de Brahim, Les Arènes esquisse les rouages d’un système footballistique où les privilèges précèdent parfois les performances. Tout semble aller trop vite, trop haut. Un terrain d’abord inconstructible devient soudain constructible après quelques discussions bien placées. Des montants de contrat quadruplent sans justification rationnelle. Le monde du foot, dans le film, n’est pas simplement concurrentiel : il est volatile, instable, parfois quasi absurde.
Cette représentation ne relève pas tant de la caricature. Elle traduit (un peu rapidement) une réalité vécue par de nombreux joueurs : celle d’un univers où l’économie du transfert échappe à toute logique classique. Où les sommes annoncées ne sont pas toujours le reflet du réel, mais plutôt des instruments de négociation, des signaux de statut ou des promesses inconsidérées.
Mais cette surenchère a un coût. Lorsqu’il rejoint un grand club, Brahim pense avoir franchi un cap. En réalité, il entre dans une zone grise : il ne joue pas avec l’équipe première, il n’a pas de visibilité, il doute. L’attente devient pesante. L’élan initial se heurte à une réalité froide. Le film montre cette phase de stagnation avec retenue, mais une grande lucidité : celle d’un jeune joueur qui, à force d’avoir visé très haut, se retrouve à l’arrêt ou quasi. Le film nous fait comprendre cette traversée du désert et beaucoup de regrets et de colère.
Un thriller sans ballon (ou presque)
Camille Perton a fait un choix fort : laisser le football hors champ presque tout au long du film. Aucun match professionnel ou à enjeux fort, aucune séance réelle d’entraînement. À l’exception d’une scène marquante dans un city-stade de quartier, Les Arènes fait le pari de raconter l’univers du football sans en montrer les gestes. Dans cette séquence, Brahim dribble, brille, domine. Le terrain est réduit, les adversaires modestes, mais le message est clair : on observe un joueur au-dessus du lot, une promesse vivante. Ce moment, rare, donne au spectateur une respiration spectaculaire et atteste l’admiration, presque collective, que son entourage nourrit pour lui.
Mais cette parenthèse ne suffit pas à ancrer durablement le récit dans la réalité du terrain. Le ballon reste lointain, symbolique. Le film se concentre sur les à-côtés : les moments festifs, les négociations, les silences. Cette approche renforce la tension propre au thriller, mais peut aussi générer une frustration. Sans scènes de compétition, on peine parfois à mesurer l’enjeu technique, à percevoir la grandeur ou les limites réelles du personnage.
Parmi les figures marquantes du film, Francis (Édgar Ramírez), l’agent professionnel que Brahim finit par choisir s’impose rapidement comme un personnage visuellement fort, mais narrativement quelque peu déroutant.
On le découvre dans une scène pleine de tensions, au cœur d’une atmosphère sensuelle et désinhibée, qui brouille immédiatement les pistes. Son homosexualité, montrée très tôt dans le récit, devient presque un axe narratif à part entière, prenant une place qui finit par paraître quelque peu disproportionnée par rapport au sujet principal du film. On en sait finalement plus sur sa sexualité que sur ses véritables méthodes de travail, plus sur son aura que sur sa stratégie d'agent.
L’homme évolue dans un univers clinquant : on le voit sur un yacht qui n’est pas à lui, toujours entouré, toujours prêt à imposer sa présence. Il fait aboutir les contrats, ou du moins donne l’impression d’en être l’artisan principal. Mais derrière ce vernis, la relation aux clubs est trouble. Il n’est pas un indépendant si flamboyant, mais un relais utile, malléable, voire dominé par ceux qui tirent les vraies ficelles. Une forme de servitude déguisée transparaît, subtilement mais sûrement.
Ce personnage, sans doute voulu comme un contrepoint à Mehdi, finit par déséquilibrer le film. Trop chargé, trop complexe, trop stylisé. Il incarne à lui seul plusieurs thématiques que le film aurait pu aborder plus progressivement : le pouvoir, la manipulation, la sexualité, l’argent, la compromission. À force de tout porter, il éclipse les autres. Et il affaiblit par contraste le réalisme brut du reste du récit. Les Arènes, dans son ambition de capter les tensions du foot moderne, n’avait pas besoin d’un tel personnage pour convaincre. Moins aurait été (sans doute) plus.
Les Arènes détourne les codes : pas de héros triomphant, pas de montée spectaculaire, pas de gloire en pleine lumière. Ce que le film raconte, c’est la tension permanente d’un jeune joueur talentueux, pris entre des désirs contradictoires, des pressions multiples, et un système qui l’aspire plus qu’il ne l’accompagne.
Camille Perton réussit à traduire cette réalité avec une sobriété percutante. Les silences, les regards, les non-dits ont souvent plus de poids que les dialogues explicites. Le film, s’il laisse parfois sur sa faim par son format resserré ou certaines pistes narratives excessives, n’en demeure pas moins pertinent. Il offre un regard original sur les trajectoires silencieuses, les réussites partielles, les sacrifices invisibles.
Au final, Brahim n’est ni un héros ni un échec. Il est entre les deux, comme tant d’autres. Sa maison est construite, ses parents sont fiers, mais le rêve initial a pris un détour. C’est cette zone grise que Les Arènes met en lumière avec intelligence : celle d’une réussite en demi-teinte, à la fois enviable et profondément humaine. Et dans cette lucidité, dans ce refus du spectaculaire, réside peut-être sa plus grande force.