MHSC Féminines : Crux Football rachète, Nicollin tourne la page

Le 1er octobre 2025, la nouvelle a fait l’effet d’un électrochoc dans le paysage du football français : le Montpellier Hérault Sport Club a cédé la totalité de sa section féminine à Crux Football, une entreprise anglo-américaine portée par l’ancienne internationale néo-zélandaise Rebecca Smith. Après 25 années sous l’égide de la famille Nicollin, c’est une page entière qui se tourne pour un club au palmarès prestigieux.
Cette décision, motivée par les graves difficultés économiques du MHSC masculin relégué en Ligue 2, marque un tournant stratégique inédit dans l’Hexagone. En pleine professionnalisation du football féminin, ce transfert de propriété à une structure 100% indépendante s’apparente à un modèle économique disruptif, encore peu exploré en France.
Mais derrière cette transaction à 3 millions d’euros se cache une ambition bien plus large : faire de Montpellier une tête de pont d’un réseau européen dédié au football féminin.

Crux Football : la naissance d’un empire féminin ?

Première pièce du puzzle de Bex Smith

À la tête de Crux Football, on retrouve Rebecca “Bex” Smith, une figure emblématique du football féminin international.
Ancienne défenseure centrale et capitaine de la sélection néo-zélandaise, elle a brillé avec le VfL Wolfsburg en remportant le triplé Ligue des Champions, Bundesliga et Coupe d’Allemagne en 2013. Une performance rare, qui assoit sa légitimité sur le plan sportif.

Mais c’est sa carrière post-football qui impressionne encore davantage. Diplômée de Duke University en économie et espagnol, titulaire d’un double MBA et d’une maîtrise en psychologie, elle a évolué dans les plus hautes sphères de la FIFA.
Là, elle a dirigé les compétitions féminines mondiales et contribué à la stratégie globale du football féminin. Avec Crux Football, elle incarne un leadership visionnaire, entre expertise sportive, rigueur économique et engagement militant pour l’égalité.

“Nous ne voulons pas copier les structures masculines. Nous voulons créer un modèle pensé par et pour le football féminin”, déclarait-elle récemment dans une interview à Sport Business.

La multipropriété est un levier d’influence et de croissance

L’ambition de Crux Football repose sur un modèle économique révolutionnaire : la multipropriété spécialisée.
L’objectif affiché est clair : bâtir un réseau de clubs féminins en Europe – Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, Suède, France – capable de mutualiser les compétences en matière de scouting, performance, marketing, développement de talents.

Le MHSC Féminines est le premier maillon d’une chaîne stratégique, avec deux autres rachats déjà en préparation pour 2026.
Contrairement à certains modèles masculins critiqués pour leur logique purement financière, Crux Football veut instaurer une coopération sportive durable, où chaque club conserve son identité tout en bénéficiant d’une force collective structurée.

Ce modèle s’inspire notamment de l’expérience réussie d’Angel City FC aux États-Unis, dont Bex Smith et plusieurs investisseuses de Crux sont actionnaires. Il s’agit ici de transformer le football féminin en produit d’avenir, en plaçant les joueuses, les fans et la communauté au cœur de la stratégie.

Un séisme dans le foot féminin français

Une décision dictée par l’urgence financière

Le MHSC n’a pas vendu sa section féminine par opportunisme stratégique, mais bien par nécessité économique.
La relégation en Ligue 2, conjuguée à un trou budgétaire estimé à 15 millions d’euros, a forcé Laurent Nicollin à faire un choix douloureux mais pragmatique. La section féminine, évaluée à environ 3 millions d’euros, pesait trop lourd dans les comptes d’un club déjà sous pression de la DNCG.

« Ce n’était pas un choix du cœur, mais une obligation pour survivre », résumait un proche du dossier

Depuis plusieurs saisons, malgré des résultats sportifs corrects, la section féminine vivait dans l’ombre de l’équipe masculine, sans autonomie structurelle ni véritable levier de développement propre. Le rachat par Crux Football vient mettre fin à cette dépendance structurelle.

Une rupture avec le modèle intégré des clubs mixtes

Ce transfert de propriété est inédit en France. Pour la première fois, une section féminine professionnelle quitte le giron d’un club historique pour devenir une entité autonome, gérée par un acteur privé spécialisé. C’est une rupture radicale avec le modèle dominant, où le foot féminin dépend économiquement et sportivement du masculin.

Ce choix n’est pas sans risques, mais il ouvre une brèche.
Désormais, les sections féminines peuvent être valorisées en tant qu’actifs à part entière, susceptibles d’attirer des investisseurs, des sponsors et un public ciblé.

“Ce modèle s’inscrit pleinement dans notre ambition de croissance pour le foot féminin français.” - Jean-Michel Aulas, président de la Ligue Féminine

Le seul précédent significatif reste celui de l'OL Féminin, désormais OL Lyonnes, passé sous le contrôle de l’investisseuse américaine Michele Kang en 2023.
Mais si ce partenariat marque une étape majeure pour le football féminin en France, il s’est construit au sein même du groupe OL, maintenant des liens structurels avec la section masculine. À l’inverse, le cas du MHSC Féminines représente une rupture totale, avec une cession complète à un groupe indépendant. Une nouvelle ère s’ouvre.

Le chantier sportif : relancer une équipe à la dérive

Un début de saison catastrophique

Si l’opération séduit sur le plan économique, la réalité du terrain est plus brutale. Le MHSC Féminines a perdu ses trois premiers matchs de la saison 2025-2026 en Arkema Première Ligue, se retrouvant en fond de classement. Un contraste saisissant avec l’ambition affichée par Crux Football.
Ce départ poussif aurait pu plomber la dynamique... mais l’équipe a su réagir le 4 octobre 2025 en décrochant son premier succès de la saison (2-0 face à Strasbourg).
Mais la relégation guette toujours, alors même que le club vient d’être propulsé au rang de vitrine stratégique du projet Crux. Ce paradoxe souligne l’urgence : avant de penser rayonnement international, il faudra stabiliser le présent. Le risque est réel de voir ce projet novateur freiné par un déficit de résultats immédiats.

Une reconstruction express sous pression

Pour piloter cette relance, Crux Football a nommé Paul Bouffard à la présidence du club. Ancien responsable de la section féminine des Girondins de Bordeaux et spécialiste du marketing sportif, il incarne un profil hybride, à la fois gestionnaire et développeur. Sa feuille de route repose sur quatre piliers : ancrage local, héritage, influence des joueuses et modèle économique pérenne.

Mais le timing est serré. Le club devra recruter intelligemment dès le mercato hivernal, renforcer son staff, revoir sa méthodologie d’entraînement et améliorer l’environnement des joueuses. L’objectif à court terme : le maintien à tout prix.
L’objectif à moyen terme : devenir un laboratoire de performance pour l’ensemble du réseau Crux.

Un laboratoire économique pour le foot féminin européen

Indépendance commerciale, nouvelle norme ?

L’un des paris majeurs de Crux Football est de faire du MHSC Féminines une entité totalement indépendante, tant sur le plan juridique que commercial. À rebours des sections féminines considérées comme des “centres de coûts” au sein des clubs masculins, le nouveau modèle veut démontrer que le foot féminin peut générer ses propres revenus, attirer des partenaires ciblés, et développer une fanbase engagée.

Avec 100% des parts détenues par Crux, le club contrôlera directement les droits commerciaux, le merchandising, la billetterie, les partenariats, et la stratégie digitale. Cette autonomie ouvre la voie à une structuration plus agile, où chaque action est pensée pour valoriser l’image, les performances et l’impact sociétal du football féminin.

Un contexte propice à l’investissement dans le sport féminin

Cette transformation n’arrive pas par hasard. Selon le cabinet Deloitte, le marché mondial du sport féminin professionnel devrait atteindre 2,35 milliards de dollars en 2025, porté par une croissance forte en visibilité, sponsoring et droits audiovisuels. L’UEFA prévoit quant à elle 1 milliard d’euros d’investissements dans le football féminin d’ici 2030.

Crux Football s’inscrit dans cette dynamique ascendante. En s’appuyant sur des investisseurs influents comme Julie Foudy, Cindy Holland, Lori Cashman ou Ted Knutson, l’entreprise entend capitaliser sur les tendances structurelles : data, storytelling, économie durable, et empowerment des athlètes.
Montpellier devient ainsi la première brique visible d’un projet transnational, qui pourrait esquisser une nouvelle carte du foot féminin européen.

Le rachat du MHSC Féminines par Crux Football pourrait bien constituer un tournant historique pour le football féminin français. Pour la première fois, une structure totalement indépendante prend le contrôle d’un club professionnel féminin en France, avec une vision transnationale, une stratégie d’expansion claire et des moyens financiers structurants.
Mais cette révolution ne sera réussie que si elle s’accompagne de résultats sportifs, d’un enracinement local réel et d’une capacité à fédérer autour d’un projet nouveau. Le risque, sinon, serait d’en faire une vitrine trop déconnectée du terrain, ou un projet instable si les résultats ne suivent pas.